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Jean-Marie Delbos : "Notre surveillant à Bétharram a répété ces horreurs pendant cinq ans"

INTERVIEW EXCLU SUD RADIO – Ancien élève de l’établissement catholique béarnais de Bétharram, Jean-Marie Delbos y a subi des violences physiques et sexuelles. Co-fondateur de Mouv’enfants (association de lutte contre les violences faites aux enfants), cette première victime de Betharram après 60 ans de silence raconte l'horreur absolue dans un ouvrage intitulé « Mon enfance à Betharram » (Editions Leduc). Au micro de Sud RADIO, il y livre un témoignage glacial et raconte l'ambiance qui y régnait.

L'établissement catholique béarnais de Bétharram
L'établissement catholique béarnais de Bétharram (Photo by Quentin Top / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)

Vous racontez dans votre livre qu'à l'époque, le discours des curés était vraiment bien rôdé

Ah ! C'était rôdé... Les curés avaient tous les pouvoirs vu le contexte. Vous savez, nous étions dans des villages malgré tout isolés à l'époque, loin des grandes villes. Ma mère est morte en 1956 et j'ai donc été envoyé à Bétharram. Je suis arrivé là-bas comme d'autres gamins. On s'est retrouvé là. Il y avait beaucoup de Basques parce que les Basques étaient comme nous : ils ne mangeaient pas à leur fête tous les jours. On pense que ce n'est pas possible en France mais bien sûr qu'on avait faim. On mangeait ce qu'on avait à la maison : des oeufs, de la volaille pas tout le temps car les poules, il ne fallait pas les tuer car elles fabriquaient des oeufs. Et nous étions tous habillés pauvrement.

"On se regardait entre nous, on ne parlait pas, on avait la larme au bord de l'œil"

Dès vous êtes arrivé, vous dites textuellement dans votre livre avoir entrevu le malheur. Pourquoi ? Quel souvenir avez-vous gardé de votre arrivée ?

J'ai le souvenir comme si c'était aujourd'hui. Quatrième étage, on arrive dans un couloir qui donnait sur un dortoir ouvert aux quatre vents. Quand on se levait le matin, ils ouvraient d'un côté et de l'autre pour que l'air circule. Pour des gamins de dix ans, vous imaginez. On se regardait entre nous, on ne parlait pas, on avait la larme au bord de l'œil. Mais on ne pleurait pas parce qu'on avait cette force de caractère d'éviter de pleurer. Et donc, on se retrouve tous là, puis arrivent les grands de Terminale qui faisaient des fanfarons par rapport à nous. Vous pouvez imaginer.

"On n'avait pas le droit de parler"

Comment était la vie quotidienne ?

La vie quotidienne était très simple. Quand vous êtes pauvre, vous ne pouvez pas vous payer du beurre. Comme on avait du pain dur, on mangeait soit de la planta, la fameuse margarine qui commençait à exister, soit de l'Astra. C'était une margarine de base qu'à Bétharram on nous servait. Mais les repas, il ne faut pas se leurrer, ce n'était pas de la grande de cuisine. C'était fait par des religieuses. Pendant ces repas, nous mangions en silence. On n'avait pas le droit de parler. Jamais. Même dans la cour, il ne fallait pas faire de bruit parce qu'il y avait des vieux curés qui étaient là.

Dès le quatrième mois après votre arrivée, arrive un surveillant qui va semer la terreur et abuser de vous…

Je m'en souviens comme si c'était aujourd'hui. Cela s'est passé tout simplement : on ne connaissait rien à la sexualité, vous imaginez bien. Dans la nuit j'ai senti quelqu'un qui venait sur moi, qui me découvrait. Je me retrouve pyjama baissé, slip baissé, et puis une bouche sur le sexe. Et il avait un mot magique : "Rendormez-vous, c'est rien". Et il a répété ces horreurs pendant les cinq ans qu'il est resté, sur moi ainsi que sur d'autres enfants.

"Le prêtre qui a abusé de moi avait droit à la chapelle de l'établissement. On peut se poser des questions..."

Comment viviez-vous chaque matin ce moment quand vous voyiez ce prêtre qui avait abusé de vous la veille faire la messe ?

Non mais vous imaginez... Il disait la messe et puis, il était tellement autoritaire qu'on en avait peur. Il était grand, bien habillé. Les autres prêtres allaient dans des chapelles, un peu dans les coins perdus. Lui, il avait droit à la chapelle de l'établissement. Donc on peut se poser des questions... C'était le notable de service. Mais le pire dans tout ça, c'est qu'on avait récupéré un nouveau directeur, le fameux Couture, qui était un tout petit bonhomme, habillé mais avait sur la tête toujours une barrette, parce que ça lui donnait un air d'autorité.

Après une cinquantaine de calvaires subis, vous vous décidez à dénoncer votre agresseur

La seule chose qui existait à Bétharram pour nous puisqu'on n'avait quasiment pas de rapports avec nos familles, c'était ce qu'ils appelaient un directeur de conscience. C'était l'homme à qui on allait raconter nos misères d'enfant. On le choisissait. Moi, j'avais choisi le père Descombes : c'était un scientifique, un homme exceptionnel qui nous a appris la géologie. Et donc un jour, au bout de tant d'années, on en a parlé entre nous. Difficilement, mais on en a parlé... Qu'est-ce qu'il te fait ? T'as vu ce qu'il te fait ? Qu'est-ce qu'on peut faire ? Donc on va en parler au directeur de conscience.

"Ca sert à rien, ça n'ira pas plus loin. Laisse tomber, c'est des curés !"

Que lui avez-vous dit ?

On y est tous allés, à 8 ou 10, je ne me souviens plus exactement du chiffre. Et je lui ai donc dit : ''Voilà Père Descombes, voilà ce qui se passe. Voilà ce qu'il nous fait.'' Et il m'a répondu : ''Mais Jean-Marie...'' Il est resté un peu interrogatif. Vous imaginez pour lui, un de ses collègues qui pratique ce genre de choses... Lui qui était tellement simple, tellement à l'écoute de nous, qui avait tellement de l'humanité.

Pourquoi avoir attendu plus de 30 ans avant de porter plainte contre votre agresseur ?

C'est très simple. 30 ans, ça paraît très long pour vous, alors pour moi c'est encore pire. J'étais policier à l'époque et à chaque fois que je m'adressais à un collègue qui était compétent pour prendre la plainte, à chaque fois que je pensais que c'était le moment et que je disais : ''Tu vas prendre ma plainte contre un curé'', on me répondait : ''Tu rigoles, ça sert à rien, ça n'ira pas plus loin. Laisse tomber, c'est des curés ! Qu'est-ce que tu veux aller déposer plainte contre des curés ?...

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