"La logique marchande a structuré la métropolisation du monde. Et mon propos n'est pas de dire : 'arrêtons cela', mais 'canalisons cela, sachons être maîtres de notre destin'. Cette métropolisation peut se faire soit au détriment de nos villes et nos villages, soit au bénéfice de nos villes et nos villages", a déclaré Jean-Michel Blanquer au micro de Sud Radio.
Périco Légasse : La civilisation française relève-t-elle d'une certaine idée de la France ?
Jean-Michel Blanquer : Oui, parce que c'est une des particularités de la France d'avoir d'abord été une idée. Si vous cherchez la date de naissance de l'Allemagne, c'est facile : cela va être 1870, à Versailles. Si vous cherchez la date de naissance des États-Unis, cela va être 1876, la déclaration de l'indépendance. Si vous cherchez une date de naissance de la France, ce n'est pas évident parce qu'il y en a plusieurs. La France est d'abord née dans la tête des rois, avec une idée du territoire, des frontières. Je pense que la civilisation, c'est la couche la plus profonde d'un pays ou d'une société. La couche la plus superficielle est l'évènement, la deuxième couche est l'époque, et la troisième couche, la plus profonde, qui se compte en siècles, est la civilisation. Nous sommes tous des produits de ces trois temporalités, et également de trois espaces : local, national et international. Ces trois facettes bougent comme dans un Rubik's Cube, et souvent, on a du mal à y voir une cohérence. Or, cette cohérence existe, elle est dans notre socle civilisationnel.
Périco Légasse : L'appartenance à une entité éthique et culturelle dispense-t-elle d'une conscience d'appartenir à une communauté de destin ?
Jean-Michel Blanquer : On appartient en effet à une communauté de destin qui s'appelle la nation. Dans le cas de la France, il y a une relative coïncidence entre civilisation et nation. La nation s'affirme notamment après la Révolution française, c'est l'appropriation par le peuple de quelque chose qui était fabriqué au cours des siècles par la construction monarchique. Et cette construction monarchique a été porteuse de civilisation.
"La Révolution parachève l'oeuvre des rois : elle crée définitivement la nation par l'État"
Périco Légasse : Il y a eu quelques nuances de nation avec Philippe Le Bel, Jeanne d'Arc, François Ier…
Jean-Michel Blanquer : Vous savez, Tocqueville a bien montré qu'il y a plus de continuité que de rupture entre l'Ancien Régime et la Révolution. Il y a eu des ruptures importantes, comme l'abolition des privilèges et la Déclaration des droits de l'homme. Mais ce que montre bien Tocqueville, c'est que la Révolution parachève l'oeuvre des rois. Elle crée définitivement la nation par l'État. C'est pour ça qu'on doit toujours être très attentifs à l'autorité de l'État dans notre pays.
Périco Légasse : Est-il judicieux de dire que la civilisation française est la convergence de deux courants ?
Jean-Michel Blanquer : Bien sûr, nous avons deux grands courants qui font ce que nous sommes : nous avons le courant judéo-chrétien d'une part, gréco-latin d'autre part. C'est cette convergence qui a fait la France. On est vraiment une synthèse. C'est ce qui a fait la force de notre langue, de notre culture, notre élan vital, et il est important de se nourrir à cela.
Périco Légasse : Dans votre livre vous expliquez que la France est un grand État-nation. Mais cet État-nation n'est rien si on ne tient pas compte des mosaïques territoriales.
Jean-Michel Blanquer : Oui, la grande Patrie est faite de petites patries, et c'est pour ça qu'il a fallu un État-nation assez fort pour rassembler tout ça. Et ça a toujours été une dialectique française particulière dont les rois, du moins depuis Philippe-Auguste, ont toujours été conscients. L'histoire de France peut être lue sous cet angle-là : la tension entre le centre et la périphérie.
Cliquez ici pour écouter l’invité de Périco Légasse dans son intégralité en podcast.
Retrouvez “Le face à face” de Périco Légasse chaque jour à 13h dans "La France dans tous ses états" sur Sud Radio.