Le malaise grandit au sein des travailleurs français. Malgré une activité soutenue et un taux d’emploi historiquement élevé (67,8 % selon l’INSEE), le sentiment de « travailler beaucoup pour peu » s’ancre durablement dans l’opinion collective. Pouvoir d’achat qui stagne, prélèvements élevés, fiscalité complexe et salaires sous pression : le diagnostic dressé par Antoine Foucher, ancien directeur de cabinet de la ministre du Travail Muriel Pénicaud et auteur de Sortir du travail qui ne paie plus, est sans détour.
« Quand vous gagnez 100 €, vous en gardez 54... Dans les années 1970, c'était 69 € »
« Aujourd’hui, quand vous gagnez 100 euros en travaillant, vous en gardez 54 », affirme Antoine Foucher au micro de Sud Radio. En Allemagne, la moyenne est de 62 euros, souligne-t-il, rappelant que « dans les années 1970, on en gardait 69 en France ». Cette érosion du revenu net illustre le poids croissant des charges et prélèvements qui pèsent sur les 28 millions d’actifs qui financent l’essentiel des dépenses sociales françaises, estimées à 890 milliards d’euros sur un budget public total de 1 700 milliards.
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Toujours plus de cotisations et d'impôts
Selon l’économiste, cette situation n’est pas la conséquence d’un enrichissement excessif du capital. « Le partage de la valeur entre le capital et le travail n’a pas bougé depuis 1950 : deux tiers pour les salariés, un tiers pour les actionnaires », précise-t-il, citant les données de l’INSEE et de la Banque de France. Autrement dit, si le travail « ne paie plus », ce n’est pas parce que les entreprises redistribuent moins, mais parce que la part des cotisations et des impôts s’est accrue.
Une stagnation historique du pouvoir d’achat
Les chiffres confirment cette impression : depuis quinze ans, le pouvoir d’achat des actifs n’a augmenté que de 1 % par an en moyenne, soit une quasi-stagnation, selon l’INSEE. Antoine Foucher résume : « C’est la première fois depuis 1945 qu’une génération vit au même niveau que la précédente. » Le constat est d’autant plus inquiétant que la France reste l’un des pays où la dépense publique représente plus de 58 % du PIB, contre 50 % en moyenne dans la zone OCDE.
« Il y a 20 à 24 pays où les travailleurs sont en moyenne plus compétents que nous »
Cette pression se double d’une baisse relative des compétences : d’après le programme international PIAAC (OCDE), les actifs français se situent au 25ᵉ rang mondial. « Il y a 20 à 24 pays où les travailleurs sont en moyenne plus compétents que nous », regrette Foucher, qui lie cette faiblesse à la difficulté du pays à capter les « segments les plus rémunérateurs de la mondialisation ».
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« Il faudrait attendre 2064 pour retrouver le niveau de l’ère Jospin ! »
Face à cette situation, les politiques affichent une volonté de réindustrialiser. Emmanuel Macron, dès la crise du Covid, appelait au « retour des usines ». Mais la réalité avance lentement : la désindustrialisation s’est arrêtée depuis 2016, selon l’INSEE, mais « à ce rythme, il faudrait attendre 2064 pour retrouver le niveau de l’ère Jospin », ironise Foucher. Il pointe deux freins majeurs : un écart de 25 milliards d’euros de fiscalité entre l’industrie française et allemande, et des normes foncières et environnementales trop contraignantes.
Un « cercle vicieux » à briser
Pour lui, la solution passe par une double réforme : mieux rémunérer le travail et taxer davantage les très gros héritages, au-delà de 500 000 euros par bénéficiaire, sans toucher à la majorité des transmissions. « C’est le seul moyen de redonner de l’égalité des chances et du sens à l’effort », plaide-t-il.
Mais, selon lui, la France s’enfonce dans un « cercle vicieux » : sentiment d’injustice, peur du déclassement, épargne de précaution massive (près de 6 000 milliards d’euros d’encours selon la Banque de France) et désengagement du travail. « Il faut payer mieux le travail, beaucoup mieux, pour que travailler plus longtemps redevienne acceptable », insiste-t-il. Derrière sa formule choc, « sortir du travail qui ne paie plus », se dessine un enjeu politique et social central : réconcilier les Français avec l’idée que l’effort mérite récompense. Sans cela, conclut-il, « nous continuerons à nous appauvrir relativement aux autres pays ».