On aurait vraiment tort de réduire cette passe d’armes d’une violence absolument inouïe à une guerre d’egos. On parle d’une guerre qui avait massacré la rédaction de Charlie Hebdo. Quand Riss et Fabrice Nicolino répondent à Edwy Plenel, ils le font avec le souvenir de cette salle de rédaction où ils ont baigné dans le sang de leurs amis. Du côté de Mediapart, la moustache d’Edwy Plenel a pu être un peu froissée par un dessin un peu grinçant, un peu de mauvaise foi, mais il serait quand même bon de se calmer… Il n’était peut-être pas nécessaire de faire de ça un élément d’une "guerre contre tous les musulmans". C’est ça qui est extrêmement grave et qui nous concerne tous.
Derrière cette violente altercation, il y a cette question cruciale de la laïcité et de la façon dont on combat l’islamisme. Quand Edwy Plenel, une semaine après l’attentat de Charlie Hebdo, affirme que "l’humour ne justifie pas la haine", il ne fait rien d’autre qu’expliquer que Charlie Hebdo véhicule une haine des musulmans en général. Ce faisant, non seulement il assimile islamistes et musulmans dans une essentialisation hallucinante, mais il laisse surtout entendre que les frères Kouachi, même s’ils n’auraient pas dû recourir à la violence, ne faisaient que répondre à une agression. C’est plus que de la complaisance…
Manuel Valls parle de «faire rendre gorge». Et là, ça pose un énorme problème. La violence des termes doit être proscrite dans ce genre de débats, surtout de la part d’un politique. Que Riss, qui a vu mourir ses camarades et qui a failli y passer, écrive "nous ne pardonnerons jamais", c’est normal. Mais que Manuel Valls, parce qu’il est mis en cause par Edwy Plenel, rentre dans ce jeu et veuille faire de leur duel le symbole de cette bataille, c’est totalement contre-productif, même si la défense de la laïcité est un combat honorable, fondamental même.
Ce que Manuel Valls incarne dans son parcours politique devrait l’inciter à se mettre un peu en retrait plutôt que renforcer ce qu’essaye d’installer Mediapart, à savoir le renvoi systématique de quiconque défend la laïcité à l’extrême-droite et à Manuel Valls.
Il faut d’abord faire baisser la tension, et ensuite accepter enfin un débat de fond entre tous les citoyens. Et notamment en donnant la parole à ces intellectuels musulmans laïcs qu’on a si peu entendu parce que les médias préfèrent des gens qui se positionnent en tant que musulmans.