La bouche d'égout s'ouvre et Roland Bourgade, 59 ans, s'engouffre plusieurs mètres sous Paris, protégé de la tête au pied, dans une chorégraphie bien rodée où sécurité rime avec travail d'équipe.
Chaque jour de la semaine, les égoutiers de la capitale écument les quelque 2.600 kilomètres de galerie pour nettoyer, entretenir et réparer ce canal d'assainissement développé à l'époque du baron Haussmann, au XIXe siècle. Un réseau indispensable pour évacuer les eaux usées et l'eau de pluie, éviter la propagation des maladies et les mauvaises odeurs.
Ce matin d'octobre, quatre hommes enfilent une combinaison blanche, des bottes vertes, des gants, un casque bleu et un masque ventilé au pied d'un immeuble en construction, près de la gare de Lyon.
"J'ai un détecteur de gaz qui détecte tout gaz toxique en égout", explique Donatien Lacoste, 45 ans, assurant, avec le temps, avoir vu l'amélioration des équipements. Il y a 15 ans, cet ancien "ripeur" - éboueur derrière un camion poubelle - est devenu égoutier notamment pour découvrir "un lieu mystérieux", que "personne ne connaît".
L'organisation est millimétrée: un égoutier reste à la surface et accroche le harnais de ceux qui descendent à l'échelle. "La sécurité est primordiale", rappelle le chef de l'unité, Roland Bourgade, qui a "appris à aimer ce métier", au "résultat" visible.
Quand "on demande aux clients une semaine après +est-ce qu'il y a toujours ces odeurs qui existent+, généralement ils sont satisfaits de l'activité que nous faisons", raconte cet ancien comptable, égoutier depuis 14 ans.
La mission du jour: prendre des mesures sous terre en vue de travaux.
- "Milieu très dangereux" -
Arrivé en bas, Roland Bourgade constate d'abord "beaucoup d'eau sur les banquettes", les trottoirs des égouts.
Au coeur des égout de Paris, le 21 octobre 2025
Guillaume BAPTISTE - AFP
Après évaluation, quatre hommes descendent quand deux autres, les "gardes orifices", restent à la surface.
Sous terre, les lampes frontales éclairent un espace exigu, où l'eau trouble atteint quelque 50 centimètres de profondeur. Sur les murs, de grandes canalisations d'eau potable et non potable côtoient des câbles de fibre optique.
"Là on est au numéro 72, c'est indiqué par une plaque", explique Donatien Lacoste, montrant un trou où atterrissent toutes les "eaux usées" de l'immeuble. Un autre prend des mesures à l'aide d'un mètre.
L'expédition souterraine dure environ une heure.
"Journée plutôt cool", reconnaît Donatien Lacoste, "en temps normal, on descend entre 3 et 4 heures".
"C'est un milieu très dangereux, donc il faut toujours avoir une légère appréhension", prévient-il, évoquant de nombreux "risques" comme les "glissades", les "chocs" ou l'intoxication au gaz.
"Tous les deux ans, on est vacciné pour la leptospirose", poursuit-il, une maladie transmise principalement par les rats.
Les égoutiers en voient tout comme des cafards. En 1984, un jeune crocodile est découvert, "en promenade" selon une dépêche AFP de l'époque. Une histoire insolite qui se transmet dans le milieu.
- "Métier pénible" -
Les qualités requises pour ce métier ? "Ne pas être claustrophobe", "être en pleine forme", égrène Roland Bourgade, évoquant aussi une "corporation où on doit être soudé".
Une équipe d'égoutiers, à Paris, le 21 octobre 2025
Guillaume BAPTISTE - AFP
"Nous travaillons dans un espace confiné, avec un métier pénible, donc ça joue beaucoup sur le moral. D'où l'importance d'avoir des collègues avec qui l'ambiance est bonne", abonde Abdoul, 45 ans, égoutier depuis six ans.
Une pénibilité qui leur permet généralement de faire valoir leur droit à la retraite dix ans plus tôt que le reste de la population.
Parmi les 260 "égoutiers de Paname" et chefs égoutiers, on ne compte que 13 femmes. Un "déséquilibre historique", pointe Antoine Guillou, adjoint à la maire de Paris en charge de la propreté, qui "espère que ça va changer".
L'élu salue un métier indispensable pour "préserver la santé des Parisiennes et des Parisiens" et l'environnement, comme la dépollution de la Seine.
"Sans nous, les odeurs remontent, les égouts seraient bouchés, donc tout remonterait à la surface", confirme Donatien Lacoste.
Babacar Sarr, 32 ans, égoutier depuis bientôt six ans, parle d'un "travail de l'ombre" pas "assez mis en valeur" alors qu'il "contribue" au bien-être de la ville.
La ville dont l'égout est "la conscience", écrivait Victor Hugo.
Par Antoine BOYER / Paris (AFP) / © 2025 AFP