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Nicolas Dufourcq : "L'Etat-providence est dopé par une poudre blanche qui s'appelle la dette"

Par Aurélie Giraud

INTERVIEW SUD RADIO - "L’État est chargé, par les Français, de contracter un crédit à la consommation pour eux" selon Nicolas Dufourcq, Directeur général de la Banque Publique d'Investissement et auteur de "La dette sociale de la France" (Odile Jacod). Il était “L’invité politique” sur Sud Radio. 

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Nicolas Dufourcq interviewé par Jean-François Achilli sur Sud Radio, le 29 octobre 2025, dans “L’invité politique”.


"On n’a pas dit aux Français que 60 % de la dette, c’était des prestations sociales, qui permettaient de gagner du pouvoir d’achat et d’acheter la baguette de la semaine." Au micro de Sud Radio, Nicolas Dufourcq a répondu aux questions de Jean-François Achilli.

"En fait, il y a un déni de la démographie, il y a un déni de la croissance verticale de l’espérance de vie"

Jean-François Achilli : Votre livre, il y a quoi… 500 pages et plus ? C’est une sorte de thriller, de film. C’est une thérapie aussi, 500 pages pour comprendre comment nous en sommes arrivés là aujourd’hui. Je donne une indication : vous révélez que 2000 milliards d’euros de la dette aujourd’hui correspondent au versement à crédit de quarante années de prestations sociales.

Nicolas Dufourcq : "Oui, c’est ça. C’est le budget social de la nation : c’est la Sécurité sociale plus l’ensemble des budgets sociaux qui sont à l’intérieur du budget de l’État, dont évidemment le régime de retraite des fonctionnaires, mais également tout le traitement social du chômage, du chômage de masse, des quarante dernières années.
Et vous rajoutez toute la politique du handicap, vous rajoutez une grosse partie de la politique de la famille, vous rajoutez les allègements de charges remboursés par l’État, la Sécurité sociale, vous rajoutez toute la politique de la pauvreté… Et ça représente 58 % des dépenses publiques, tout ça. Et ça fait quarante ans que ça dure.
"

Pourquoi vous démarrez à Giscard ?

"Je démarre à Giscard non pas du tout pour faire le procès de son septennat, mais parce que c’est le moment dans l’histoire de France où, à côté de la Sécurité sociale, qui est une sorte de donjon créé en 1945 et qui s’occupait de la famille, des accidents du travail, de la retraite et de la maladie, on a créé tout un ensemble d’autres prestations, qui sont des prestations d’assistance autour."

"La première s’appelle l’allocation parent isolé, puis ensuite vous avez l’allocation adulte handicapé, puis ça devient le RMI, puis le RSA. Vous avez toute l’aide sociale à l’enfance, bref, tout ce qui concerne ce qu’on commence à appeler à l’époque “les exclus”. Et surtout le traitement social du chômage de masse, qui est pris en charge par l’État et pas par la Sécurité sociale."

"On ne peut pas laisser le cheval de l’État-providence continuer de courir devant le cheval de l’économie dopé par une poudre blanche qui s’appelle la dette. "

Nicolas Dufourcq, il y a une cinquantaine de témoignages dans votre ouvrage, dans les annexes. Tous les acteurs finalement de ces quarante dernières années, tous en conviennent : ça va dans le mur. C’est-à-dire que nous avons des politiques publiques depuis quatre décennies, tout le monde est conscient de ce qui se passe et personne ne fait rien. Comment est-ce que vous l’expliquez ?

"Alors non, on ne peut pas dire que personne ne fait rien. Tout le monde fait quelque chose, mais c’est toujours insuffisant par rapport à la dynamique de progression des dépenses sociales françaises, qui est elle-même la conséquence du vieillissement de la société française.
En fait, il y a un déni de la démographie, il y a un déni de la croissance verticale de l’espérance de vie, qui se traduit par des années de retraite de plus en plus longues et par une croissance non anticipée des dépenses de santé liées aux maladies chroniques. Le premier à vraiment le dire, c’est le rapport Charpin, en 1999.
"

"On ne veut pas non plus voir que la société française a arrêté de croître de 2 à 3 % par an. Tout le monde pense qu’un point de croissance supplémentaire va nous sauver, mais il n’arrive jamais, ce fameux point. Et donc, on ne voit pas ce que nous sommes devenus : une société plus âgée, et qui croît moins."

Jean-François Achilli : Que pensez-vous du débat actuel à l’Assemblée nationale ? Regardez : on s’apprête à discuter de la taxe Zucman, ou de sa version dite allégée.

Nicolas Dufourcq : "Écoutez, je ne rentre pas dans ce débat parlementaire bien sûr cette semaine, mais ce que je peux rappeler peut-être aux auditeurs, c’est que philosophiquement, ce qui fonde l’État-providence, c’est l’idée que nous devons tous quelque chose à notre pays.
On doit notre énergie, on doit s’accomplir. Chacun doit absolument s’accomplir au maximum de ses possibilités, en créant donc de la valeur. Et c’est cette valeur qui permet de financer les protections et la solidarité nationale.
"

"On ne peut pas laisser le cheval de l’État-providence continuer de courir devant le cheval de l’économie dopé par une poudre blanche qui s’appelle la dette. Il faut que l’économie, c’est-à-dire l’énergie vitale du pays, coure au même rythme que l’État-providence, sinon ça ne peut pas marcher. Or, ça fait quarante ans que l’économie ne court pas au même rythme, parce qu’elle n’est pas dopée."

https://twitter.com/SudRadio/status/1983434214545424780

Nicolas Dufourcq, cette surtaxe que le gouvernement a mise sur la table, c’est pour séduire le Parti socialiste : deux milliards de plus sur la taxation des bénéfices des grandes entreprises. Elle est sortie du chapeau lundi. Est-ce que vous trouvez ça normal ? Est-ce qu’il faut taxer et surtaxer les entreprises et leurs bénéfices ?

"J’avais publié une interview l’année dernière, à l’époque de la discussion du budget Barnier, où cette mesure était déjà proposée. J’avais dit que la surtaxation des entreprises n’était pas la solution. Et en effet, je continue de le penser."

"On est face à un problème transpartisan : il faut qu’on trouve les moyens de financer notre État-providence. Notre État-providence est un miracle. La manière dont on traite, en solidarité, les Français est absolument unique au monde, et même unique en Europe."

"Donc, comment est-ce qu’on fait tous ensemble, autour de la table, pour le préserver ? Ce n’est pas en allant ralentir l’énergie vitale de l’économie française qu’on va y arriver. Il faut, au contraire, tout faire pour l’accélérer."

Est-ce que la taxe Zucman est confiscatoire ? La question est posée aujourd’hui.

"Je pense qu’il faut se mettre dans la psychologie des gens qui sortent du rang et qui décident de se mettre à leur compte, de ne pas être salariés, et donc de prendre tous les risques pour créer leur entreprise. C’est une mobilisation psychique énorme pour eux, pour leur famille, pour leurs enfants. Ils hypothèquent leur maison, ils y vont, ils vont chercher leur premier crédit, puis leur deuxième. Ils font entrer du capital."

"Vingt ans plus tard, ils ont réussi, et on leur dit : on va vous prendre 2 % par an de votre propriété, de la totalité de votre propriété. C’est comme un paysan à qui on enlèverait 2 % de son champ tous les ans. Psychologiquement, c’est totalement désincitatif. Or, ce dont on a besoin en France, c’est de plus d’entrepreneurs, de plus d’entreprises qui croissent plus vite et qui font plus de bénéfices."

"On est bien obligé de partir à la retraite plus tard"

Jean-François Achilli : Dans votre livre, vous révélez que les grands postes de la dépense annuelle sont les retraites : vous dites 400 milliards, la maladie 270. Est-ce qu’il faut tailler dans ces volumes ?

Nicolas Dufourcq : "Écoutez, quand l’âge de 65 ans a été décidé au Conseil National de la Résistance en 1945, l’espérance de vie était de 65 ans. Donc on a choisi un âge de retraite égal à l’espérance de vie. Autrement dit, il y avait quasiment pas de retraite."

"Aujourd’hui, l’espérance de vie a grimpé massivement, encore plus pour les femmes, qui ont cinq ans de plus que les hommes. L’espérance de vie d’une institutrice, par exemple, c’est 92 ans. Est-ce qu’on peut continuer de se payer des décennies de loisirs en bonne santé pour des personnes âgées qui ne le sont pas tant que ça ? J’ai fait des déclarations publiques assez fortes sur la tranche d’âge que je considère comme le nouveau “bel âge” : de 60 à 70 ans. Il faut absolument rester connecté au monde du travail. Donc, il faut repousser l’âge de la retraite."

Donc tous les débats actuels qui consistent à dire, chez certains partis politiques, qu’il faut repasser à 62, voire à 60 ans, pour vous ces débats sont obsolètes. Vous dites quoi, vous, 65 ans ?

"On pourrait appeler ça une fatalité arithmétique. Mais j’ai envie de positiver : je pense qu’on devient vieux le jour où on prend sa retraite. Donc, autant devenir vieux le plus tard possible, non ?
Au lieu d’avoir une société dans laquelle on cherche à devenir vieux le plus vite possible. Et de toute façon, comme on n’a pas fait assez d’enfants, on est bien obligé de partir à la retraite plus tard.
"

Vous savez ce qu’on va vous opposer, Nicolas Dufourcq : l’argument des carrières longues et pénibles.

"Ce problème-là a été traité depuis 2003, lors de la réforme Raffarin, dans une négociation avec François Chérèque, le patron de la CFDT, qui demandait cela pour ceux qui avaient commencé à 14, 15 ou 16 ans, notamment les enfants d’agriculteurs. Eh bien, on l’a fait. Sauf que depuis, dans la logique classique de l’inflation des droits, on a fait bénéficier du dispositif “carrières longues” à des Français qui démarraient à 21 ans. Ce qui veut dire que les cadres partent en carrière longue. Vous avez 40 % des cadres aujourd’hui qui partent avant l’âge. Est-ce que c’est normal ? Donc oui, c’est déjà traité depuis 2003."

À quel moment est-ce qu’on baisse drastiquement le niveau des dépenses de l’État, un peu tous azimuts ?

"Oui, ça fait quarante ans que ça dure. Mais ça fait quarante ans que ça dure parce qu’en fait, on ne se dit pas à nous-mêmes les choses. On n’a pas dit aux Français que 60 % de la dette, c’était des prestations sociales, qui permettaient de gagner du pouvoir d’achat et d’acheter la baguette de la semaine. Moi, je ne l’avais jamais entendu avant de travailler sur le sujet."

"Quand j’ai commencé ce livre, ce n’était pas complètement clair dans ma tête. Je voulais comprendre pourquoi nous avons accumulé 3500 milliards de dette. Et quand vous commencez à creuser, vous vous apercevez que ce sont des prestations sociales, donc du pouvoir d’achat. L’État est donc chargé, par les Français, de contracter un crédit à la consommation pour eux. Et c’est ça qui ne va pas."

Sur les transmissions d’entreprises, par exemple, le ministre des PME, Serge Papin, propose d’élargir le Pacte Dutreil, c’est-à-dire faire mieux en quelque sorte.

"Il faut se souvenir que si vous voulez avoir des usines dans les campagnes, dans les vallées, il faut des familles d’entrepreneurs. Et pour avoir des familles d’entrepreneurs, il faut, comme en Allemagne et comme en Italie — qui sont les deux pays les plus proches de la France en la matière et qui ont des dispositifs très protecteurs de transmission pour les familles —, permettre aux familles de transmettre, sans être obligées de payer 45 % d’impôts sur les successions."

"Parce qu’on sait comment ça se termine : elles vendent. Et elles vendent à qui ? À des étrangers qui, dès qu’il y a un problème, ferment l’usine française. La France est le pays considéré comme le moins attractif. C’est pour cela que Renaud Dutreil a fait voter sa loi en 2003, et sa loi a littéralement sauvé les entreprises industrielles familiales des territoires. Donc oui, il faut aller plus loin dans ce qu’on appelle le Pacte Dutreil. L’idée de permettre à une famille de persévérer dans son être d’entrepreneur, comme les Peugeot, par exemple, est une bonne idée."

Dernière question avec vous, Nicolas Dufourcq : vous dirigez la Banque Publique d’Investissement, qui est très dynamique, il faut le dire, dans ce pays, et qui aide les entreprises.

"Il y a de bonnes nouvelles pour le premier semestre : on a réussi à ouvrir beaucoup plus d’usines que l’année dernière, semestre à semestre. On a un plan qui s’appelle le Plan Start-up Industriel, qui permet de financer les chercheurs-entrepreneurs, qui eux-mêmes vont monter des usines. Et au premier semestre — vous verrez ça dans L’Usine Nouvelle cette semaine —, on en a ouvert un peu plus de trente. C’est une très bonne nouvelle."

Mais comment vont les entrepreneurs aujourd’hui ? Quel est le moral ? Comment le décririez-vous ?

"Les entrepreneurs ont l’impression de revisionner la saison 1 d’une série, alors qu’on est déjà à la saison 7. Il y a un côté “moonwalk” : on a l’impression que ça bouge, mais en fait ça ne bouge pas. C’est l’impression que leur donne parfois la France."

Benjamin Glaise : Juste d’un mot, parce que vous parlez, soyons précis : vous avez une liberté de ton, vous parlez des prestations sociales, et vous êtes assez cash. Mais de quelles prestations sociales parlez-vous ? Lesquelles faudrait-il sacrifier ?

Nicolas Difourcq : "D’abord, le mot “sacrifier”, je pense, est excessif.
Ensuite, les ordres de grandeur sont les suivants : la première, ce sont les retraites — un peu plus de 400 milliards, en progression constante, puisqu’on continue de vieillir et qu’on fait de moins en moins d’enfants. Les derniers chiffres de natalité sont catastrophiques. Et par ailleurs, l’espérance de vie augmente, parce qu’on est très bien soigné.
Ensuite, c’est la santé, à 270 milliards. Il y a un énorme problème de “reste à charge” sur la santé. Le problème, c’est qu’on a le reste à charge le plus faible du monde, et le plus faible d’Europe : 5 %. Il faut ouvrir un débat sur la question du reste à charge, peut-être sous condition de ressources.
Moi, je n’ai aucun problème avec ça.
"

"Et ensuite, loin derrière, viennent les autres prestations sociales : la pauvreté, c’est 30 milliards ; le RMI, c’est 12 milliards ; le handicap, c’est 50 milliards ; le traitement du chômage, c’est autour de 40 milliards. Donc vous voyez : retraites, 400 ; santé, 270. Les deux sont liés à la démographie. C’est là que se trouve notre problème."

Retrouvez "L’invité politique" chaque jour à 8h15 dans le Grand Matin Sud Radio

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