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Romain Nigita : "Les studios veulent pouvoir un jour utiliser l'intelligence artificielle"

Par Jean Baptiste Giraud

Romain Nigita, journaliste spécialiste des séries, était l'invité de Valérie Expert et Gilles Ganzmann sur Sud Radio le 1er juin 2023 dans "Le 10h - midi".

Romain Nigita
Romain Nigita, invité de Valérie Expert et Gilles Ganzmann dans "Le 10h - midi" sur Sud Radio.

Cela fait un mois que la grève des scénaristes dure à Hollywood. Quel est l'enjeu du conflit ? Explications avec Romain Nigita.

 

Romain Nigita : "À partir du moment où la grève a été votée, ce sont tous les scénaristes qui ont arrêté de bosser"

Comme l’explique Romain Nigita, le syndicat des scénaristes à Hollywood est très puissant. "Ce n'est pas tellement l'argent en tant que tel. Ils ne demandent pas plus d'argent par scénario. L'enjeu, c'est la précarisation du métier de scénariste à Hollywood. Donc c'est le fait d'avoir un emploi stable tout au long de la saison. C'est vraiment ça, le cœur du problème. Ils sont en grève depuis quasiment un mois. La grève a démarré le 2 mai 2023. Ce sont tous les scénaristes américains qui ont cessé de travailler. Parce que là-bas, aux États-Unis, les syndicats, ça marche par profession. Vous avez un seul syndicat par profession. Il faut être syndiqué pour pouvoir travailler avec les grands studios. Donc, à partir du moment où la grève a été votée, ce sont tous les scénaristes qui ont arrêté de bosser."

 

"Des séries comportant des saisons courtes, ça ne suffit pas aux scénaristes pour vivre toute l'année"

"Il y a deux sujets majeurs. Il y a le problème de la précarité et le problème de l'intelligence artificielle. La précarité, ça vient du fait que maintenant, beaucoup plus de séries sont produites aux Etats-Unis grâce à l'explosion des plateformes. Donc on pourrait dire qu’il y a plein de boulot pour tout le monde. Sauf que sur la plupart des plateformes, comme vous pouvez le constater, la plupart des saisons sont les saisons courtes. Avant les grosses séries américaines, les séries comme Lost, Desperate Housewives, 24 h chrono, c'était des saisons de 24 épisodes par saison. Donc en gros, les scénaristes bossaient quasiment toute l'année, sauf les deux mois d'été. Mais maintenant on le voit : sur Netflix, Disney… ce sont les saisons de huit, dix, treize épisodes au grand maximum. Donc les scénaristes qui bossent sur ces séries-là, ça ne leur suffit pas pour vivre toute l'année de bosser sur l'idée", a déclaré Romain Nigita.

Comme l’explique Romain Nigita, les writers’ rooms sont une particularité hollywoodienne à laquelle les scénaristes américains tiennent. "Aux États-Unis, la force des séries américaines, c'est ce qu'on appelle le writers’ room, donc la salle des scénaristes. Parce que les scénaristes, même s'ils n'ont pas leur nom au générique de chaque épisode, ils bossent toute l'année, tous ensemble dans une même pièce. Ils construisent les intrigues et les parcours des personnages sur toute la saison. Ils échangent et discutent toute la journée. Et puis, une partie de la semaine, ils partent dans leur petit bureau qui est dans la salle d'à côté pour vraiment rédiger le scénario dialogué. Et après ils refont lire ça par leurs copains, ils réécrivent ça avec le showrunner. Il y a un échange tout au long de la journée. Et c'est pour ça qu'ils sont payés tout au long de la saison.

Et là, ce que veulent faire les studios et les grandes plateformes, c'est faire des économies sur tout. Ils leur disent : 'vous pouvez très bien travailler de chez vous tranquilles. Vous voyez bien qu’avec le télétravail, ça ne fonctionne. Plus besoin de salle, vous serez juste payé pour l'épisode que vous écrivez, c'est pas la peine de discuter tous ensemble'. Donc ce que veulent les syndicats, les scénaristes, c’est inscrire dans le marbre l'obligation d'avoir ces writers' room."

Romain Nigita : "Les plateformes veulent le scénario de l'intégralité des épisodes de la première saison"

Autre problème : l’organisation actuelle fait que les scénaristes sont aujourd’hui payés moins qu’avant. "Avant, quand on proposait une série, on écrivait juste le scénario du pilote, on le proposait à une chaîne qui disait oui, qui disait non, et puis derrière, on tournait le pilote et si ça plaisait, on commandait la saison entière. Mais c'est une fois qu'on savait que la chaîne voulait de cette série. Là, ce que demandent les plateformes, c'est de dire 'OK, on ne va pas faire un pilote, mais vous allez m'écrire l'intégralité des épisodes de la première saison avant même de savoir si je vais vous commander la série. Et une fois que j'ai lu ces 5-8 épisodes, je vous dirai si je commande la série'. Mais du coup, vu que je ne suis pas sûr de vous la commander, je vais vous payer au minimum syndical, donc pas très cher. Il faut que je vous la commande parce que je trouve ça formidable. Mais une fois que c’est livré, je ne vais pas vous payer plus'.

Et c’est encore pire vu que maintenant ces plateformes sont internationales, comme Netflix et compagnie. Cela signifie qu’il n'y a pas de droits sur les diffusions internationales. Il faut savoir qu'avant, vous écriviez votre série pour une chaîne américaine ou la BBC et vous touchiez une première partie du salaire. Et une fois que c'était vendu par le distributeur (Warner par exemple) à des chaînes étrangères, vous touchez de l'argent en plus", a expliqué Romain Nigita.

 


L’absence des scénaristes sur les tournages nuit aussi à la production. "Les films qui sont en tournage en ce moment peuvent très bien s'arrêter aussi parce que les scénaristes ne peuvent plus venir réécrire sur le plateau. Parfois, en cours de tournage d'un film, on se rend compte qu’il faut réécrire. Hop, on appelle le scénariste, il débarque et réécrit le dialogue. C'est un gros problème pour certains films."

"Les comédiens prévoient de prendre position sur une grève préemptive"

Les comédiens sont-ils solidaires de ce mouvement ? "Il y a une solidarité. En effet, il y a des comédiens célèbres qui sont venus participer aux piquets de grève devant les studios. Parce que cette grève, c'est non seulement on ‘arrête de bosser’, mais en plus on manifeste devant les entrées des studios avec des pancartes, des slogans, etc. Donc il y a des acteurs qui viennent manifester avec eux, leur apporter à boire et à manger. On a vu notamment Cynthia Nixon, qui est une des actrices de 'Sex in City'. On a vu Fran Drescher, qui est l'actrice du 'Nounou d'Enfer', tout simplement parce qu'elle est la nouvelle présidente du syndicat des acteurs depuis l'année dernière.

 


Il faut aussi savoir que les renégociations entre les syndicats et les représentants des studios ont lieu tous les trois ans, c'est assez cyclique. Pour les acteurs, c'est surtout ce mois de juin que vont avoir lieu les négociations. Et ils prévoient de voter en début de semaine prochaine, de prendre position sur une grève préemptive. C'est-à-dire que lundi prochain, les acteurs vont voter pour dire ‘si jamais les négociations fin juin 2023 n'ont pas abouti, vous savez déjà qu'on se mettra en grève’", a répondu Romain Nigita.

L’intelligence artificielle, une autre menace pour le métier de scénariste

"Je pense que la plus grosse menace, l'autre grosse menace, c'est l'intelligence artificielle. Aujourd'hui, les studios ne veulent pas s'engager sur le fait de ne jamais avoir recours à l'intelligence artificielle pour écrire ou réécrire des scripts. On sait que ces intelligences artificielles se basent sur des choses existantes. Elles ne créent pas ex nihilo, elles se basent sur tout ce qui est disponible sur Internet. Donc l'un des grands rêves des studios, c'est de rentrer dans l’ordinateur un roman et de sortir le scénario. Et si le scénario est dialogué, c'est-à-dire qu'il n'a même pas de droit d'auteur de scénariste, sauf le droit d'auteur du roman", a expliqué Romain Nigita.

 

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Cliquez ici pour écouter le podcast de Romain Nigita, le 17 octobre 2023

Retrouvez “L'invité média” de Gilles Ganzmann chaque jour à partir de 10h00 dans le 10h - midi Sud Radio avec Valérie Expert.

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