Le livre de Gérald Andrieu, "Le peuple de la frontière", vient d'être réédité (Éditions du Cerf). Il y présageait qu'un mouvement de type "Gilets jaunes" était inévitable.
"Je n'imaginais pas qu'il y aurait une explosion sociale"
Périco Légasse : Lorsque vous avez écrit ce livre en 2017, vu la confirmation des nombreuses craintes que vous y évoquez, vous avez de la mare de café ou une boule de cristal pour avoir été assez précis dans ce qui se passe aujourd'hui, par rapport à ce que vous pressentiez ?
Gérald Andrieu : Je me garde toujours de me présenter comme une Madame Soleil ou une Madame Irma de la chose politique, économique et sociale. Il se trouve que mon éditeur a eu le culot et la bonne idée de mettre en quatrième de couverture une phrase disant peu ou prou : "Vous verrez que ce peuple qu'a rencontré Gérald Andrieu se fera entendre pendant le premier quinquennat d'Emmanuel Macron". Et en réalité, il s'est fait bien entendre, un an pile poil après la sortie du livre, avec les Gilets jaunes. Mais je n'imaginais pas que ça prendrait cette ampleur et qu'il y aurait une explosion sociale.
"Les gens que je côtoyais ne connaissaient pas du tout Emmanuel Macron"
Périco Légasse : Comment avez-vous réussi à recueillir des témoignages aussi sincères ?
Gérald Andrieu : C'est l'outil de la marche. Et aussi le fait que j'ai choisi un trajet très particulier : j'ai choisi de m'éloigner de Paris et de suivre la frontière terrestre depuis Dunkerque jusqu'à Menton. Suivre les frontières belge, luxembourgeoise, allemande, suisse et italienne. Pourquoi cet outil de la marche ? C'est que j'ai fui Paris. La plupart des journalistes politiques restent avec les responsables politiques, suivent les états-majors pendant une campagne et ne sont jamais auprès de ceux qui doivent décider si une personne mérite ou non d'être élue. Et à l'endroit où j'étais, pendant ces cinq mois de marche, loin de Paris, le long de la frontière, j'ai compris qu'il y avait une sorte de malentendu entre ce président qui allait être élu, Emmanuel Macron, que les médias adoraient, que l'intelligentsia adorait, que les autres responsables politiques voyaient comme une sorte de renouveau de la politique… Mais les gens que je côtoyais… ou bien ils ne connaissaient pas du tout Emmanuel Macron… ou alors quand il commençaiantt à le connaître, il y avait une sorte de soupçon : "Mais qui est ce mec finalement ? Qui est ce mec qui ne connaît rien de notre vie, de notre quotidien ? Qui parle avec des mots qui ne sont pas les nôtres et qui ne se préoccupe pas des problématiques qui sont les nôtres au quotidien ?". Les problématiques sont assez simples : vivre dignement…
"C'est une gifle symbolique qui avait été infligée au pays"
Périco Légasse : En quoi Emmanuel Macron n'était-il pas un candidat comme les autres ?
Gérald Andrieu : Les autres présidents, avant d'avoir été élus présidents, ils ont été élus députés, présidents de conseils généraux, simples au moins un ancrage local. Alors qu'Emmanuel Macron, en 2017, on peut dire que c'est le président des "Anywhere". Vous savez, c'est cette thèse de David Goodhart qui explique qu'il y a des gens qui sont issus d'un territoire, les "Somewhere". Et puis il y a les "Anywhere", des gens qui flottent au-dessus de la surface de la planète, qui volent en jet privé, qui ne sont attachés à rien, à aucune racine, à aucun principe.
Donc, on nous invitait à accélérer. Et un an plus tard, Édouard Philippe, son Premier ministre, nous demandait de ralentir, puisqu'il faut passer à 80 km/h. Les gens n'ont pas saisi. C'est une gifle symbolique qui avait été infligée au pays. Au moment où on nous dit qu'il faut accélérer et monter dans le grand train de la modernité, on nous dit : "vous, avec votre bagnole, puisque vous êtes obligé d'avoir votre bagnole pour aller bosser, vous allez ralentir, et en plus on va vous rajouter des taxes sur le carburant". Moi, je comprends pourquoi ça a pété un an plus tard.
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