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Hugues Aufray : « Le rap, c'est pas de la chanson ! »

EXCLU SUD RADIO - Monstre vivant de la chanson française, Hugues Aufray repart pour une tournée à 96 ans. Electron libre devant l'éternel, cet auteur-compositeur aux 60 ans de carrière n'a rien perdu de ses punchlines ni de ses avis tranchés.

Hugues Aufray
A 96 ans, Hugues Aufray n'a rien perdu de sa superbe (JOEL SAGET - AFP/Archives)

Vous avez toujours eu une forme de liberté dans votre parcours, refusant d'être enfermé dans une époque. Cette liberté et cette indépendance, d'où viennent-elles ?

D'où vient mon indépendance ? C'est que je suis sincère, complètement, je n'ai rien à cacher, je ne cache rien. Je crois que celui qui ment est obligé de mettre les mains dans le dos, parce que moi j'ai les mains devant.

« Les rappeurs se prennent pour des poètes, ils pensent qu'ils sont les nouveaux Rimbaud »

Vous avez également traversé plusieurs époques de la chanson française. Qu'est-ce qui a le plus changé selon vous ?

Tout a changé, tout a changé, mais c'est normal. Aujourd'hui, pratiquement, avec le rap, elle n'existe plus, quoi. Parce que le rap, c'est pas de la chanson. Le rap, c'est un discours, quoi. Ils ont le droit de le faire, je ne suis pas contre les jeunes, ils font ce qu'ils veulent. Si ça leur plaît, moi ça ne m'intéresse pas. Aujourd'hui, les rappeurs se prennent pour des poètes, ils pensent qu'ils sont les nouveaux Rimbaud. C'est de la rigolade. Rimbaud a écrit pendant quelques années, jusqu'à l'âge de 20 ans, et il s'est arrêté. Pour une raison, c'est qu'il était arrivé au bout. Ca permet aux jeunes de s'exprimer. Ils n'ont pas grand-chose à dire, mais ils le disent.

« Chanteur seul, ça ne m'intéresse pas du tout »

Lorsque vous montez sur scène et que vous entendez le public reprendre en choeur « Santiago » avec vous : que ressentez-vous ?

Moi, je ne suis pas un chanteur, je suis un fédérateur, un rassembleur. Si vous me demandez, nous sommes dans une radio ici, de prendre une guitare et de chanter Santiago tout seul, je vous dirais non. Ça ne m'intéresse pas du tout, moi. Qu'il y ait 300 personnes, 4 000, 50 000, 200 000 personnes... Moi, j'ai chanté devant 2 ou 300 000 personnes, une des premières fêtes du Parti communiste. A l'époque, ils m'ont invité. Et donc, voir 200 000 personnes qui chantent avec vous, je peux vous dire que ce n'est pas rien. On a une émotion. Donc, c'est une émotion de fédérateur.

Vous avez souvent chanté le voyage : reste-t-il encore une destination où vous rêveriez d'aller ?

Les voyages, ça a beaucoup changé. Avant, le troubadour allait de ville en ville et il chantait avec sa guitare. C'était l'équivalent d'un journaliste. C'était attrayant parce que ça changeait le paysage, etc. Maintenant, le voyage, c'est, vous arrivez à la gare de Lyon pour prendre un train, il a 4 heures ou 3 heures de retard, il y a une foule incroyable autour de vous, des gens armés avec des fusils et tout. Ce n'est pas rigolo, quoi. Aujourd'hui, le voyage en a pris un coup.

« La télévision vous emmène dans des pays, vous fait voyager »

Mais il y a une façon de voyager, c'est la télévision. Vous regardez la télévision, il y a 90 chaînes disponibles. Vous trouvez bien une chaîne qui va vous parler d'un pays que vous ne connaissez pas. Vous vous mettez devant, vous regardez, vous dites, merci mon Dieu, tellement c'est beau. Je vois des choses que, même si j'avais le temps, je n'aurais pas l'argent, enfin, si j'avais l'argent, je n'aurais pas le temps d'y aller. La télévision vous emmène dans des pays, vous fait voyager.

N'y a-t-il pas quand même un endroit en particulier ?

Mais il y a un endroit que j'aurais aimé traverser, c'est le Cap Horn. Ça, je rêvais de passer le Cap Horn. Quand on était petits garçons avec mon frère, qui avait un an de plus que moi, on disait un jour, on passera le Cap Horn. Lui est décédé à 27 ans et moi, je n'ai jamais passé le Cap Horn.

«  Il y a deux choses qu'il ne faut pas politiser, c'est la religion et la nature »

Vous avez également chanté la nature, les valeurs simples, justement, en parlant de ça, et dans un monde de plus en plus numérique : est-ce que vous sentez que ces thèmes parlent encore aux jeunes générations ?

La nature et les valeurs simples, il n'y a que ça qui compte mais les écologistes, c'est un drame actuellement. Ils sont complètement dans l'erreur. Ils ont politisé une chose qu'il ne fallait pas politiser. Il y a deux choses qu'il ne faut pas politiser, c'est la religion et la nature. Ce sont des choses qui sont incompréhensibles, indescriptibles. Vous ne pouvez pas savoir imaginer l'infini, c'est impossible. Si vous l'imaginez, vous êtes un être qui est capable de transcendance. Et si vous voulez savoir si Dieu existe ou pas, vous êtes agnostique et vous êtes dans la transcendance. Parce que vous essayez de trouver une explication à quelque chose qui n'en a pas. La caractéristique de Dieu, c'est qu'il n'a pas d'explication.

« Dylan, c'est le génie du siècle »

Vous êtes aussi célèbre pour les reprises en français des chansons de Bob Dylan : qu'avez-vous ressenti quand vous avez découvert ses textes ?

Quand je l'ai rencontré en 1961, je passais dans un cabaret où il y avait une fille qui chantait des chansons de Bob Dylan. Donc, j'ai tout de suite vu de quoi il s'agissait. J'ai dit : ''mais ce type est un génie, par sa façon de jouer la guitare, sa façon de chanter, sa philosophie, son comportement !'' Tout était d'un niveau supérieur. J'ai décidé de traduire en français, mais ça m'a pris quand même trois années avant d'obtenir l'autorisation. Ça a été très très long. Et quand j'ai réussi à enregistrer le disque qui s'appelle « Aufray chante Dylan », j'ai mis ça sur le marché français. Ça a bouleversé des gens dont Renaud, Laurent Voulzy, Alain Souchon, Dylan, c'est le génie du siècle.

« Une chanson ne peut pas changer le monde, mais le monde peut changer la chanson »

Une chanson peut-elle changer le monde ?

Une chanson ne peut pas changer le monde, mais le monde peut changer la chanson. C'est ce qui se passe en ce moment. Les temps changent. J'en ai parlé souvent, sans vouloir donner les détails, puisque c'est impossible de l'expliquer, de donner des détails, mais la physique quantique a permis de créer des appareils, dont le téléphone portable, des choses extraordinaires. Ça, ça change l'homme. Je crois que l'homme est fasciné par l'environnement. Si vous avez un environnement agressif, vous allez forcément avoir une attitude spéciale pour vous défendre. Par exemple, aujourd'hui, vous avez le rock'n'roll qui est devenu une musique agressive, alors que pour les Noirs, qui l'ont inventé, ça veut dire bercer comme une mère qui berce son enfant.

« Les Rolling Stones, le rock'n'roll blanc : c'est pas le bon rock'n'roll »

Le rock'n'roll signifie quand même quelque chose, une rébellion, une rage, un cri de l'intérieur ?

Quand vous voyez les Anglais, les Rolling Stones qui vous tirent la langue pour symboliser leur groupe, ce n'est pas le rock'n'roll. Pour moi, le rock'n'roll blanc, c'est pas le bon rock'n'roll. Le bon rock'n'roll, c'était le premier, du début, qui était fait avec naïveté, gentillesse, etc. Avec humour, souvent. Maintenant, ils n'ont pas d'humour. C'est d'une violence terrible. Et la violence est en train de changer les hommes. Donc, la chanson.

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