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Damien Brunelle (Coordination rurale) : "Certaines personnes aimeraient que ça dégénère"

INTERVIEW SUD RADIO - Président de la Coordination rurale de l’Aisne, Damien Brunelle, est revenu sur la mise en joue d’un agriculteur par les forces de l’ordre alors qu’il manoeuvrait avec son tracteur et craint que la situation dégénère.

Damien Brunelle (Coordination rurale) : « Le danger, c’est que la situation dégénère »
Matthieu RONDEL - AFP

Damien Brunelle, vous êtes président de la Coordination rurale de l'Aisne. Quelle est votre réaction après que des policiers aient pointé leur arme sur un agriculteur dans on tracteur.

« Ce sont des images extrêmement choquantes. Beaucoup d’agriculteurs ont ressenti cela comme une violence totalement disproportionnée. On a le sentiment que le pouvoir ne sait plus quoi faire face à la colère agricole et qu’il bascule dans une forme de brutalité, un peu comme ce qu’on a déjà connu avec le mouvement des gilets jaunes à un moment donné.

Ce qui choque encore davantage, c’est le contraste avec d’autres situations. On voit l’incapacité de l’État à réagir face à des individus armés dans certains contextes, où il ne se passe parfois rien. On a même vu récemment le Louvre se faire cambrioler, avec des consignes données aux gardiens de ne pas intervenir. Et là, face à des agriculteurs qui manifestent, on sort les armes. Pour nous, ça devient totalement incompréhensible. »

"On est tous profondément choqués"

La Coordination rurale a saisi l’IGPN et qualifié ce geste de disproportionné. De leur côté, les autorités expliquent que l’agriculteur n’aurait pas suffisamment suivi les instructions. Est-ce que vous entendez cet argument ?

« Non, pour moi, c’est un geste complètement à côté de la plaque. On sait très bien que les forces de l’ordre hésitent parfois à sortir leurs armes dans d’autres contextes, notamment dans certains quartiers, parce qu’ils savent que derrière il y aura automatiquement une saisie de l’IGPN. Et là, ce sont des agriculteurs qui se retrouvent menacés.

On trouve ça totalement disproportionné. Je peux vous dire qu’on est tous profondément choqués. Ce type d’acte s’inscrit dans une accumulation d’images très violentes pour le monde agricole. On a déjà vu, par exemple, des interventions avec des hélicoptères et des véhicules blindés lors de manifestations, notamment du côté de l’Ariège. Tout cela choque profondément les agriculteurs. »

"L’agriculteur n’a pas suivi les ordres"

Le contexte est extrêmement tendu. L’hypothèse selon laquelle l’agriculteur n’aurait pas suivi les consignes données par les policiers ne vous paraît-elle pas crédible ?

« Si, bien sûr que l’agriculteur n’a pas suivi les ordres. On est dans le cadre d’une manifestation. Si on suivait strictement tous les ordres, on resterait tous chez nous et il n’y aurait jamais de mobilisation.

Maintenant, je comprends votre question. Il ne s’agissait pas des consignes liées à la manifestation elle-même, mais visiblement de l’ordre d’immobiliser le véhicule. Est-ce qu’il aurait fallu être plus diplomatique, des deux côtés ? Peut-être. Mais on ne peut pas résumer la situation à une simple désobéissance individuelle.

"Les agriculteurs qui ne sont plus raisonnables"

Là où je vous rejoins, en revanche, c’est qu’on est face à des agriculteurs qui ne sont plus raisonnables, parce qu’ils sont à bout. Je l’ai vécu enfant, lors de la mise en place des quotas laitiers. À l’époque, j’ai vu des agriculteurs détruire leur propre matériel parce qu’ils se sentaient trahis et acculés. Aujourd’hui, on est exactement dans cette situation-là : aucune visibilité sur l’avenir, aucune perspective. »

"On a le sentiment que le gouvernement joue le pourrissement"

Cet épisode vous inquiète-t-il pour les prochaines mobilisations ? Craignez-vous une montée des tensions entre agriculteurs et forces de l’ordre ?

« Oui, clairement, c’est un risque. Quand on laisse un mouvement durer sans réponse politique concrète, les tensions montent forcément. Nos représentants nationaux ont rencontré le président de la République le 23 décembre, le Premier ministre auparavant, et derrière, il n’y a rien. Aucune réponse concrète.

Pourtant, des propositions existent. La Coordination rurale en a formulé plusieurs. Par exemple, un engagement fort à ne pas signer de nouveaux traités commerciaux comme le Mercosur donnerait un signal clair. Des propositions existent aussi sur l’abattage ou sur d’autres sujets très concrets. Mais aujourd’hui, on a le sentiment que le gouvernement joue le pourrissement.

"Deux suicides par jour dans le monde agricole"

On a l’impression que le pouvoir se dit que les fêtes vont passer, que les agriculteurs vont rentrer chez eux, qu’il fait froid et que la mobilisation va s’essouffler. Mais le danger, c’est que la situation dégénère, car on est face à des personnes qui n’ont plus rien à perdre. On parle quand même d’un à deux suicides par jour dans le monde agricole. Ces situations-là, aucun organisateur ne peut les maîtriser. »

"La responsabilité politique est immense"

Certains parlent même de risques de guérilla agricole, voire de guerre civile. Est-ce une crainte réelle dans vos rangs ?

« Je fais confiance à nos dirigeants syndicaux, mais oui, il y a clairement des personnes qui aimeraient que ça dégénère. Ce sont parfois des adhérents, et on fait tout pour que ces gens-là n’aient pas de responsabilités. C’est un risque réel, d’autant plus que les réseaux sociaux amplifient énormément les tensions. On découvre parfois des profils très radicaux, y compris au sein de nos propres rangs.

On l’a vu sur d’autres sujets, comme la vaccination : après s’être battus pour obtenir plus de doses, on a vu arriver des discours antivax extrêmement virulents. Il y a donc une pression permanente, venue de franges radicalisées. C’est pour cela que la responsabilité politique est immense aujourd’hui. Plus on tarde à répondre aux revendications, plus le risque d’un dérapage grave augmente, aussi bien pour les agriculteurs que pour les forces de l’ordre. »

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