"Des médias comme le JDD, Europe 1 et C news font du racisme leur fond de commerce" : au micro de Sud Radio, Rodrigo Arénas, député LFI de Paris, a répondu aux questions de Maxime Lledo.
"Brigitte Bardot est un personnage aujourd'hui qui est clivant, qui est clivant de par ses multiples condamnations pour racisme"
Maxime Lledo : C'est une France encore en deuil, une France encore triste que nous connaissons, une France assommée par la disparition de l'une de ses icônes évidemment : Brigitte Bardot. Quand on a été un tel monument du cinéma français, un tel mythe, est-ce qu’on mérite un hommage national ?
Rodrigo Arenas : "Il ne m'appartient pas à moi de me prononcer sur ce sujet-là, sur les hommages nationaux. Ça appartient évidemment au président de la République et aux représentants de la Nation, dans un consensus qui s'établit. Maintenant, pour répondre à votre question, Brigitte Bardot est un personnage aujourd'hui qui est clivant, qui est clivant de par ses multiples condamnations pour racisme, comme d'ailleurs Jean-Marie Le Pen qui était son ami. Et pour autant, moi j’ai 50 ans, je fais partie d'une génération qui doit reconnaître qu’elle a porté des combats, notamment sur la question des femmes dans les années 50, qui étaient loin d'être dans ce cadre de libération, et qui ont eu un impact international. Et je fais partie de ces enfants qui ont pris conscience de la condition animale, notamment de la souffrance animale, à travers ses combats sur ces sujets-là. Donc cela, je ne l'oublie pas. Mais pour autant, le militant politique que je suis et aussi le combattant antiraciste que je pense incarner font que ce contraste en demi-teinte montre que les personnes ne sont ni complètement blanches ni complètement noires. C'est une vie contrastée. Et il appartiendra donc aux grandes instances de décider si elle mérite ou pas un hommage national comme d'autres personnages l'ont eu avant elle."
Il y a quand même eu des centaines et des centaines d'insultes. Est-ce que vous comprenez que cela puisse encore autant interpeller et qu’une partie de la gauche n’accepte pas qu’on puisse admirer l’icône, et peut-être moins les propos politiques d’une femme qui avait vieilli, qui ne se reconnaissait plus dans l’époque ?
"Vous avez une partie de la gauche qui, encore une fois, ne se reconnaît pas là-dedans pour les questions que j'ai évoquées, notamment la question du racisme sur laquelle elle a été condamnée par la justice, et non pas par des partis politiques. Je comprends aussi que nous sommes actuellement dans une situation en France où cette question devient centrale. On ne peut pas faire l'impasse, comme si cela n’existait pas, alors même qu’il y a des médias — on va peut-être en parler tout à l'heure — qui aujourd'hui font du racisme leur fond de commerce. Et donc à partir de là, l'opinion publique est très divisée sur cette question. Je pense au Journal du Dimanche, je pense à Europe 1, je pense aux médias du groupe Bolloré, comme CNews et d'autres, qui mettent cette question sur la table et font du racisme un fond de commerce."
Est-ce que ce n'est pas totalement disproportionné ? Vous pouvez ne pas être d'accord avec leurs idées, mais est-ce que ce n'est pas très grave de porter une telle accusation sur des médias qui ont leur lectorat, leur audience ?
"Je ne le pense pas, dans la mesure où j'en suis parfois victime aussi. Quand vous avez des médias qui transforment une information en réalité, nous sommes dans un défaut d'information.
Il y a des propos qui, pour moi, sont clairement racistes, et qui sont considérés comme tels quand, par exemple, on explique qu’une partie de la population — notamment la population musulmane ou africaine, d'une façon générale, liée à l’inconscient de notre pays avec sa relation à la colonisation — revient aujourd'hui sur la table de la pire des façons. Nous avons besoin de réconcilier la France. Et il s'avère qu’il y a des médias, ceux que je viens de citer notamment, qui font leur fond de commerce de tout cela et qui sont en train de cliver la société alors que nous avons besoin de nous rassembler.
Donc Brigitte Bardot peut-être, malgré elle, incarne cela. Mais il faut rappeler tout de même que Brigitte Bardot a été condamnée pour racisme, et que cela relève d’un fait juridique. Pour autant, je n’exclus pas les choses positives qu’elle m’a apportées personnellement, sur la question des femmes dans un premier temps — “Dieu créa la femme” n’est pas passé crème à l’époque — et évidemment sur la question de la défense animale, qui aujourd'hui est d’une actualité brûlante puisque la souffrance animale existe encore. Je comprends aussi la réaction d’Aymeric Caron qui prend cette cause à cœur. Mais je pense que, pour autant, il faut aussi avoir le respect des morts, et que le silence s’impose parfois quand on n’est pas d’accord avec quelqu’un."
"Nous sommes, à la France insoumise, antiracistes et contre l’antisémitisme, et des ardents défenseurs de la liberté d’expression"
L’un de vos collègues députés, Hadrien Clouet, s’est vanté d’utiliser un livre en combustible pour cheminée. Un livre qui ne faisait que révéler les liens entre votre parti et certains réseaux islamistes.
Qu’est-ce qui se passe à La France insoumise ? On est quoi ? Tout d’un coup nostalgique des autodafés ?
"Non, je ne le crois pas. Mais je pense que sa communication est une erreur, de mon point de vue.
Je ne sais pas ce que dira le mouvement, je ne sais pas ce que dira Hadrien lui-même. Mais effectivement, il y a des symboles qui sont très importants en Europe, qui sont très importants dans le monde. Et je pense que c’est une erreur de communication profonde que de mettre un livre en situation d’être brûlé. Nous sommes, à la France insoumise, pour le militant que je suis, antiracistes et contre l’antisémitisme évidemment, et des ardents défenseurs de la liberté d’expression.
Et à ce titre-là, il ne convient pas de mettre un livre en symbole d’être brûlé."
Il y a aussi, et vous venez d’en parler, la question du racisme et de l’antisémitisme, qui semble toujours être une frontière sur laquelle vous essayez de jouer les funambules à La France insoumise.
Prenons les municipales. Il y a cette volonté de conquérir plusieurs grandes villes. Il y a eu notamment cette phrase de l’un de vos responsables qui disait, en parlant de Saint-Denis et Pierrefitte : “Ce sont des terres où beaucoup de racisés sont passés. Vous avez une opportunité en or pour qu’un racisé dirige ces deux villes. Il faut faire en sorte que le réel peuple de France reprenne le pouvoir ici.” C’est quoi le sous-texte ?
"Je connais bien Saint-Denis. Je connais bien Pierrefitte. Je connais bien la Seine-Saint-Denis.
Il y a une réalité objective : dans ce territoire, la représentation de la troisième génération d’enfants issus de l’immigration — parce que, vous le savez, l’immigration en Seine-Saint-Denis était liée à l’existence de PSA Peugeot qui allait chercher, au Maghreb notamment et en Afrique subsaharienne, des travailleurs — ces enfants-là sont français. Ils sont nés là depuis plusieurs générations.
Mais ils sont sous-représentés dans la classe politique de ce département. Donc je pense qu’il ne faut pas donner plus d’importance que cela à cette phrase. Cela signifie simplement que les enfants de Saint-Denis ont aussi le droit d’accéder à la politique."
Oui, mais il base cela uniquement sur la couleur de peau. Si ce n’est pas du racisme, c’est à minima du racialisme.
"La couleur de peau, ce sont des mots qui vous appartiennent. Je ne pense pas qu’on parle de couleur de peau. Un “racisé”, c’est quoi ? C’est quelqu’un qui subit les stigmates du racisme liés à l’immigration. Moi, par exemple, est-ce que pour vous je suis “racisé” ? Je ne le sais pas. Mais en tout cas, j’ai souffert du racisme portugais quand j’étais enfant, parce que j’ai grandi à Champigny-sur-Marne, qui comptait le plus grand bidonville d’Europe, essentiellement composé de Portugais.
Donc le racisme existe dans notre pays. Je pense que des personnes comme moi, comme Yaël Braun-Pivet qui est vice-présidente de l’Assemblée nationale, comme Carlos Martens Bilongo, comme d’autres, ont le droit de faire de la politique. Et nous pensons, à La France insoumise, être un véhicule pour permettre à toute cette jeunesse, qui se sent souvent exclue de la vie politique, sociale, économique, et qui est pointée du doigt, d’accéder à cet espace qui lui appartient aussi. Nous pensons que la France est généreuse et que ces enfants doivent prendre leur place. Et nous allons les y aider."
Que tout le monde puisse faire de la politique, oui, c’est normal. Mais est-ce que ce n’est pas un mauvais biais de considérer que la couleur de peau serait déterminante ? Ou alors, est-ce qu’il faut dire clairement que vous êtes un parti racialiste ?
"Je fais partie d’une génération pour laquelle la couleur de peau pouvait empêcher d’entrer en boîte de nuit. Je fais partie d’une génération qui considère que la couleur de peau et l’origine peuvent encore être un obstacle pour trouver un travail, un logement, accéder à des fonctions politiques.
Donc oui, cela existe encore. Je ne pense pas que ces propos soient racistes. Je pense que le rassemblement passe par le fait de reconnaître que nos enfants, qui viennent d’Afrique, d’Asie, qui sont français, ont toute leur place dans notre pays. Peut-être que nous devons améliorer notre façon de le dire. Mais notre objectif n’est pas de diviser : c’est d’intégrer."
Peut-être que c’était une erreur, simplement, d’avoir parlé comme cela dans un meeting filmé ?
"Cela peut heurter certaines personnes, oui. Mais pour ceux à qui cela s’adresse, cela a du sens.
Le mot “racisé” a du sens pour un certain nombre de nos concitoyens, pour des chercheurs à l’université. En France, il n’y a pas de statistiques ethniques, mais cela n’empêche pas que ces réalités existent. Nous devons parler à ces personnes. Et qu’on se rassure : cela n’a pas vocation à séparer. Cela a vocation à rassembler, par l’intégration de toutes et tous. Mais on ne peut pas faire comme si ces discriminations n’existaient pas."
Encore un mot sur les municipales, avec votre candidate à Paris, Sophia Chikirou, qui refuse par principe un maire socialiste. Est-ce que cela doit être un principe absolu ? Ou est-ce qu’une alliance est possible ?
"Il faut surtout poser la question à Emmanuel Grégoire. Il a dit clairement qu’il ne voulait pas d’alliance avec La France insoumise, ni au premier ni au second tour. C’est son choix. S’il change d’avis, nous aviserons. Nous avons toujours tendu la main. Mais une alliance, si elle existe, sera une alliance plurielle. Et rien ne dit que le maire soit socialiste. Nous, ce qui nous intéresse, ce sont les questions programmatiques : Par exemple, la gratuité de la cantine. Nous pensons que les enfants ont le droit de manger. Comme marcher sur un trottoir est gratuit, manger devrait l’être aussi à l’école. La majorité actuelle a failli sur beaucoup de sujets. Nous voulons une vraie politique de gauche."
🇫🇷 Municipales de Paris - Unions de la gauche
— Sud Radio (@SudRadio) December 30, 2025
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"On exige énormément de l’école publique, tout en la fragilisant"
Rodrigo Arenas, vous êtes député LFI de Paris et vous venez d’intégrer le Conseil supérieur des programmes. On en a discuté un peu hors antenne : qu’est-ce que c’est concrètement ? Qu’est-ce que c’est que cette “curiosité d’État” ?
"Ce n’est pas une curiosité, c’est une instance démocratique dans laquelle siègent l’ensemble de la communauté éducative : des enseignants, des fédérations de parents d’élèves, des experts également, sous la direction d’une présidence, et dans laquelle siègent aussi des parlementaires : des sénateurs et des députés. Dans ce cadre-là, démocratiquement, les groupes politiques à l’Assemblée nationale y envoient des représentants. Pour l’Assemblée nationale, il y a trois représentants : une députée des Républicains, une députée du Rassemblement national – qui est l’ancienne directrice de formations issues de l’Institut Iliade, qui défend des thèses comme le “grand remplacement”, sans aucune base scientifique – et puis un député issu du groupe NFP, en l’occurrence moi. J’ai l’honneur de succéder à Paul Vannier, qui était très mobilisé sur d’autres dossiers et m’a proposé de prendre le relais au sein de cette instance, ce que j’ai accepté."
Les grands chantiers qui vous attendent semblent immenses. On sait à quel point l’éducation va être un enjeu déterminant dans les mois et années à venir. Quand on voit par exemple que de plus en plus de familles mettent leurs enfants dans le privé, est-ce pour vous quelque chose auquel il faut s’attaquer ?
"Oui, mais ce n’est pas directement dans le périmètre du Conseil supérieur des programmes, même si cela fait partie bien sûr du débat éducatif. Une des raisons pour lesquelles les parents mettent leurs enfants dans le privé, c’est que, depuis des années, on abîme l’école publique, on lui donne une mauvaise réputation, tout en lui demandant de tout faire sans lui donner les moyens. À Paris, par exemple, 90 % des enfants à besoins particuliers, notamment porteurs de handicap, sont scolarisés dans le public, et seulement 10 % dans le privé. En revanche, ces mêmes établissements privés viennent ensuite frapper à la porte des collectivités pour demander des subventions. On a l’affaire Stanislas en tête. Il y a un vrai sujet : on exige énormément de l’école publique, tout en la fragilisant."
Vous avez aussi été attaqué récemment sur l’abaya. On vous a reproché d’y être favorable. Clarifions : vous êtes favorable au port de l’abaya à l’école ?
"Non. Je ne suis pas favorable au port de signes religieux ostensibles à l’école, puisque la loi de 2004 s’applique et je suis respectueux de la loi. Il n’y a pas de débat là-dessus. Le Conseil d’État a estimé que l’abaya était un signe religieux, donc la loi s’applique. Mais le sujet, ce n’est pas ça. À la rentrée, il y a eu 120 signalements sur 12 millions d’élèves. On parle d’un phénomène ultra marginal. Or, on crée des paniques morales, on instrumentalise ces sujets pour détourner l’attention des vrais problèmes : manque d’enseignants, profs non remplacés, écoles pas construites là où il en faudrait, élèves qui galèrent dans les transports pour aller au lycée… C’est ça, la réalité quotidienne de l’école."
🏫 Les atteintes à la laïcité dans les salles de classes
— Sud Radio (@SudRadio) December 30, 2025
🗣️ @arenasrodrigo_ :"Les faits ne sont pas légions"
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Comment on s’assure qu’ils puissent enseigner sereinement, avec une vraie liberté pédagogique, sans pression extérieure ?
"La liberté pédagogique des enseignants existe dans notre pays. Les cas que vous évoquez existent, mais ils ne sont pas majoritaires, malgré ce que certains médias laissent penser. Méthodologiquement, les études montrent que ce n’est pas une réalité de masse. Il n’y a pas une “submersion” des enseignants. En revanche, chaque fois que cela arrive, il faut accompagner les professeurs, les soutenir. Quand un élève conteste un enseignement, il faut rappeler la règle. Les parents n’ont pas à s’immiscer dans la classe. Les enseignants, comme tout le monde, sont soumis à des règles et lorsqu’elles sont transgressées, il faut les rétablir. Mais encore faut-il donner aux enseignants les moyens de travailler sereinement. C’est ça, la clé."
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