"Je me fais harceler", "ma mère me tape", mon frère "m'a forcé à faire l'amour avec lui" : depuis plus de cinq ans, l'association Les Papillons recueille des mots d'enfants griffonnés dans des petites boîtes aux lettres installées dans des écoles, centres de loisirs et clubs de sport.
"L'idée c'est de briser le silence" sur les violences faites aux enfants, explique à l'AFP le fondateur de l'association Laurent Boyet, à l'heure où ce type de violences est au coeur de l'affaire Bétharram.
"Quand ça devient trop lourd, parfois le dire et s'entendre dire ce qu'on subit, ce n'est pas évident. L'écrire peut être plus facile", poursuit-il. Violé par son frère entre ses 6 et 9 ans, lui-même n'est jamais "parvenu à parler" au moment des faits mais arrivait à "mettre par écrit" son calvaire dans son journal intime.
"On est face à des agresseurs qui passent leur temps à nous interdire de parler, mais cela ne nous empêche pas d'écrire", souligne Laurent Boyet, qui en veut pour preuve les 15.000 mots glissés depuis 2019 dans les boîtes aux lettres - 500 à l'heure actuelle - réparties sur le territoire.
Hautes de quelques centimètres, ces boîtes siglées "si tu ne peux pas le dire, écris-le" délivrent des récits de disputes, de harcèlement scolaire, de violences physiques, de violences sexuelles, que ce soit dans la sphère familiale, sportive ou éducative.
Sur une petite feuille, les enfants sont invités à laisser leur prénom, leur âge, le nom de l'école ou du club de sport et de préciser s'ils ont besoin d'aide pour eux ou pour un de leurs amis. Le nom de l'agresseur est également demandé avant d'écrire ce qu'ils ont sur le coeur dans un grand carré blanc.

Laurent Boyet, fondateur de l'association Les Papillons, devant une boîte aux lettres pour les élèves en cas d'abus à l'école, le 12 mai 2025 à l'école élémentaire Blanche à Paris
LEO VIGNAL - AFP
"Dès que je fait mes devoir et que je me trompe il me frape fore et je pleur" (sic), "Il m'a embrasser et quand on joué à un jeu il m'a touché les partie intime, et puis ma mère me frape", "Il ma forcer à faire l'amour avec lui (mon frère)", "mes parent me tape si je me trompe, sa me fé peur et a prè je fé des cauchemar", peut-on lire sur certains messages.
Les mots sont ramassés au moins deux fois par semaine par "une personne de confiance" désignée par la mairie, la plupart du temps des policiers municipaux, qui ensuite les remettent à l'association via une plateforme sécurisée. Les psychologues de l'équipe prennent alors le relai, font le tri parmi les messages, orientent l'équipe de l'école et font des signalements sur les cas les plus graves.
- "Souffrance" -
Pour Géraldine Gythiel, directrice de l'école élémentaire Blanche à Paris qui accueille depuis fin janvier une boîte aux lettres de l'association, difficile de ne pas "adhérer" à cette initiative.

Géraldine Gythiel, directrice de l'école élémentaire Blanche et Laurent Boyet, fondateur de l'association Les Papillons, le 12 mai 2025 à Paris
LEO VIGNAL - AFP
"Cela complète bien ce qu'on fait dans les écoles" dans le cadre de la lutte contre les violences faites aux enfants, dit-elle à l'AFP. "C'est une façon autre de recueillir la parole de l'enfant parce que certains enfants n'arrivent pas à parler."
Au moment de l'installation de la petite boîte en métal blanc dans le hall d'entrée de l'école, les questions des enfants, sensibilisés au préalable par une courte vidéo, ont fusé : "on peut parler de toutes les violences?" "est-ce qu'on peut écrire pour un camarade?", "est-ce qu'on est obligés de passer par la boîte pour parler?"
La première semaine, "il y a eu une dizaine de mots concernant exclusivement la malveillance entre enfants, dont on avait déjà connaissance et qu'on avait déjà traité", se souvient la directrice. "Cela montrait que ce n'était pas réglé et qu'il fallait qu'on continue à accompagner ces enfants".
Depuis, "c'est un mot de temps en temps" qui "montre la souffrance d'un enfant".
Si certains mots sortent du cadre initial, d'autres permettent des condamnations.

Du papier à lettres placé sur un mur à côté d'une boîte aux lettres pour les élèves mise en place par l'association "Les Papillons" en cas d'abus à l'école, le 12 mai 2025 à l'école élémentaire Blanche à Paris
LEO VIGNAL - AFP
En septembre 2024, un grand-père a ainsi été condamné dans l'Ain à 12 ans de prison pour inceste sur trois de ses petites-filles, dont une avait dénoncé les faits via une boîte aux lettres "Papillons".
En France, un enfant est victime d’inceste, de viol ou d’agression sexuelle toutes les trois minutes, 700.000 élèves sont victimes de harcèlement à l’école et plus d’un million de mineurs sont victimes de maltraitances, selon les chiffres officiels.
Par Marine PENNETIER / Paris (AFP) / © 2025 AFP