La Cour de cassation délibère mercredi après-midi dans l'affaire de la plateforme French Bukkake, qui a fait l'objet de multiples recours de parties civiles, en particulier sur trois points: les viols dénoncés ont-ils été commis avec torture, sexisme et racisme ?
Dans cette information judiciaire, 16 hommes, présumés innocents, ont été renvoyés en procès pour viols en réunion ou trafic d'êtres humains, de 2015 à 2020.
De nombreuses plaignantes ont demandé que soient ajoutées les circonstances aggravantes de torture, sexisme et racisme, qui feraient encourir aux suspects une peine plus lourde aux assises.
Début février, la cour d'appel de Paris avait rejeté leurs requêtes.
Une trentaine de parties civiles ont formé un pourvoi, examiné mercredi matin par la plus haute juridiction française.
- "On va l'achever" -
Dans ce dossier d'envergure, "on reconnait l'existence de viols, y compris aggravés par la sérialité, par des auteurs qui agissent en même temps sur plusieurs personnes, avec des propos insultants, humiliants", a rappelé l'avocat général à l'audience.
Mais pas la torture. "Le législateur n'a pas précisément défini les actes de torture et de barbarie", a relevé l'avocat général.
Or, selon "la jurisprudence de la Cour de cassation", de tels actes sont "caractérisés par leur nature, leur durée, leur répétition, par une gravité exceptionnelle dépassant les simples violences et provoquant de souffrances aigües".
Sur le volet intentionnel, il faut aussi "un dol spécial", mettant au jour "un comportement pervers". Le dol concerne des agissements trompeurs dans le but de manipuler une victime.
Dans French Bukkake, les blessures des plaignantes, comme "des plaies" engendrées par des pénétrations, ne résultent pas d'une violence d'"intensité encore supérieure", a estimé l'avocat général, reprenant le raisonnement de la cour d'appel.
Cette dernière avait écarté la torture car il n'y avait pas eu de "blessure distincte (aux viols) délibérément infligée".
Cette lecture s'oppose au ressenti de nombreuses plaignantes. Fanny avait raconté sa version des faits fin mars à l'AFP, requérant son prénom soit modifié pour garantir son anonymat.
"J'ai subi une double pénétration vaginale sans en être informée" et "j'ai saigné", se souvenait Fanny. "J'ai repoussé, pleuré. J'ai bien dit +Non+ (...) mais on m'a tenue plus fort".
"Je n'ai pas été une actrice", affirmait Fanny. "On ne m'a pas fait signer de contrat, et surtout, une actrice joue un rôle. Tout ce qui a été montré à l'écran, la violence, les viols, je les ai vécus, il n'y a pas eu de simulation".
D'après des éléments d'enquête consultés par l'AFP, les gendarmes ont constaté, lors du visionnage du film, que l'un des dirigeants de la plateforme, surnommé "Pascal OP", enjoignait "d'user complètement" de Fanny. "On va l'achever", lui répondait une voix d'homme.
- "Œuvres de l'esprit" -
Concernant le sexisme et le racisme, la cour d'appel avait estimé que les propos des acteurs - "salope, pute, vide-couilles"... - étaient "délibérément outrés, joués" et non réellement destinés aux "jeunes actrices, mais au spectateur".
Pour la chambre de l'instruction, "les actes commis sur les actrices participent de la réalisation d'oeuvres de l'esprit".
"La chambre de l'instruction a qualifié, peut-être maladroitement, d'œuvres de l'esprit" ces tournages, a observé mercredi l'avocat général. "On cherche l'esprit… mais il y a quand même des acteurs".
Selon lui, il ne revient pas à la Cour de "faire la distinction entre la bonne ou la mauvaise pornographie", et de trancher "un débat sociétal", mais au législateur, "s'il le souhaite", lors d'un débat ultérieur.
La cour d'appel avait aussi écarté les accusations de proxénétisme au sujet des acteurs, qui n'avaient pas participé aux tournages pour "obtenir une jouissance sexuelle" mais pour "réaliser une oeuvre cinématographique". Ce que contestent les parties civiles, s'appuyant sur des échanges entre accusés.
L'avocat général, là encore, est d'accord avec la cour d'appel.
Il rappelle que la prostitution est une "industrie légale", avec un "droit du travail", qui ne peut donc être assimilée à de la prostitution, illégale.
Selon lui, le proxénétisme ne doit être retenu qu'à l'encontre du dirigeant de la plateforme, qui est accusé d'avoir permis à des abonnés du site de participer "pour satisfaire leurs envies sexuelles".
Par Clara WRIGHT / Paris (AFP) / © 2025 AFP