ENTRETIEN SUD RADIO - Longtemps considérés comme éloignés du digital, les artisans français rattrapent aujourd’hui leur retard. Des boulangers aux coiffeurs, en passant par les menuisiers ou les métiers du design, la révolution numérique s’invite désormais dans les ateliers. Et parfois, c’est l’intelligence artificielle qui donne un coup de main comme l'explique Sophie Plaisance, directrice de Chambre des Métiers et de l’Artisanat France.
27 % des artisans déclarent utiliser un outil d’intelligence artificielle
L’artisan 2.0 : du geste à la data
Pendant longtemps, l’image de l’artisan se résumait à celle d’un professionnel concentré sur son ouvrage, loin des écrans et des logiciels. « Cette vision est totalement dépassée, tranche Sophie Plaisance, directrice formation emploi à CMA France, la Chambre des métiers et de l’artisanat, au micro de Sud Radio dans « Le numérique pour tous ». Aujourd’hui, les artisans sont aussi connectés que n’importe quel entrepreneur. Ils ont leur smartphone, leur ordinateur, et doivent maîtriser la communication, la gestion, le marketing… L’artisan moderne est multicasquette. »
Des métiers comme la boulangerie, la coiffure, la couture ou encore la menuiserie voient leurs pratiques évoluer. Les savoir-faire restent intacts, mais ils s’enrichissent d’outils numériques : modélisation 3D, prototypage, gestion prédictive des ventes ou encore automatisation de la communication.
27 % des artisans utilisent déjà l’intelligence artificielle
L’IA n’est plus un gadget réservé aux grandes entreprises. Selon CMA France, 27 % des artisans déclarent utiliser un outil d’intelligence artificielle. « C’est un chiffre qui a surpris, même en interne, reconnaît Sophie Plaisance. Et pourtant, les usages se multiplient, surtout dans deux domaines : la communication et la relation client. »
Dans les faits, un boulanger peut désormais anticiper ses ventes du lendemain en fonction de la météo ou d’un événement local. Un coiffeurautomatise la prise de rendez-vous ou prépare sa communication sur les réseaux sociaux grâce à un assistant virtuel. Un menuisier, lui, crée des visuels 3D de ses réalisations pour permettre au client de visualiser le rendu avant même la première découpe. « L’IA, c’est un peu un super assistant », résume Sophie Plaisance. Plus on la nourrit, plus elle devient efficace. Ce n’est pas une menace pour le savoir-faire, mais un levier pour mieux travailler et gagner du temps. »
Des formations pour accompagner la révolution numérique
Face à cette mutation, les chambres de métiers ne restent pas les bras croisés. « Notre mission, c’est d’accompagner les artisans du premier jour jusqu’à la transmission de leur entreprise, rappelle Sophie Plaisance. Et le numérique fait désormais partie intégrante de cette mission. »
La CMA France propose ainsi trois niveaux d’accompagnement :
Sensibiliser, à travers des webinaires ou des sessions d’une heure pour comprendre les enjeux de l’IA.
Former, via 22 modules digitaux à distance de quatre heures, accessibles à tous les rythmes.
Accompagner, grâce à des formations en présentiel, sur une ou deux journées, pour expérimenter les outils et échanger entre pairs.
« Ce qui fonctionne le mieux, c’est l’échange entre artisans », insiste-t-elle. Et à la fin d’une session, on entend souvent : "Quand est-ce qu'on recommence ?"
Des boulangers aux coiffeurs en passant par les menuisiers, la révolution numérique s’invite désormais dans l'artisanat.
Les jeunes redécouvrent l’artisanat
Autre signe fort : l’artisanat attire de plus en plus de jeunes. « Nous comptons 112 000 apprentis dans le réseau des CMA. Ce n’est pas une explosion, mais c’est une belle progression depuis le Covid », se félicite Sophie Plaisance.
La crise sanitaire a rebattu les cartes. Beaucoup de jeunes, mais aussi de salariés en reconversion, cherchent à retrouver du sens dans leur métier. Et grâce aux outils numériques, l’artisanat se modernise, s’ouvre, et séduit à nouveau. « Les jeunes veulent être leur propre patron, exercer un métier qu’ils aiment, tout en restant connectés, observe la directrice. Et avec les outils numériques, ils voient ces métiers autrement. »
Un nouveau dialogue entre générations
Cette transformation technologique ne creuse pas les écarts : elle crée du lien. Dans les ateliers et les centres de formation, les apprentis partagent désormais leurs réflexes numériques avec leurs maîtres d’apprentissage. « C’est un échange à double sens », raconte Sophie Plaisance. Le maître apprend le geste, la précision, le savoir-faire. L’apprenti, lui, apporte sa culture numérique : il crée une page Instagram, montre comment fonctionne ChatGPT ou un logiciel 3D. Et ensemble, ils progressent. » Un nouveau dialogue social et professionnel est en train de naître, mêlant la main, la tête et le code.
L’artisanat, entre tradition et innovation
Loin d’opposer modernité et authenticité, le numérique redonne un souffle nouveau à l’artisanat français. « Le digital ne remplace pas le savoir-faire, conclut Sophie Plaisance. Il le sublime. Et c’est en cela que nos métiers ont encore de très beaux jours devant eux. »