Les magistrats sont-ils vraiment indépendants ? Et qu'est-ce que la condamnation de Nicolas Sarkozy nous dit que notre justice ?
"Je n'ai jamais connu d'injonction d'un procureur général"
Requériez toujours librement en votre âme et conscience de représentant du ministère public ou est-ce qu'au parquet, vous pouviez recevoir quelques instructions de la chancellerie ou d'autorité supérieure ?
Philippe Bilger : Dans ma pratique judiciaire et parce que c'est ma nature bien avant d'être magistrat, j'aurais pas supporté la moindre injonction qui serait venue du procureur général, par exemple. Je peux dire en totale sincérité que je n'ai jamais eu un ordre direct dans les réquisitions que je prenais. Et le jour où j'ai senti parfois une tentative de me donner une ligne directrice, je répondais : "Mais comment voulez-vous que je vous dise ce que je vais requérir à la fin de l'audience ? Puisque, précisément, je vais attendre la fin des débats pour savoir ce que je vais décider de requérir". Autant quand j'étais jeune, c'était difficile à faire admettre. Mais ensuite, on connaissait le caractère de Philippe Bilger ! Et donc, à partir de là, le problème a été réglé. Je n'ai jamais connu d'injonction. Et, de toute manière, les aurais-je connues ? Je peux dire sans présomption que j'y aurais résisté.
"L'exécution provisoire pour Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen pose problème"
Si vous aviez dû requérir pour Nicolas Sarkozy dans le dossier lybien, auriez-vous requis à peu près la même chose ?
Philippe Bilger : Les deux avocats généraux ont été très bons. La détention n'était pas nécessaire, de mon point de vue. Même si après, elle a duré très peu de temps. Et, heureusement, il a été libéré, ce qui n'a pas créé… ce n'est pas Mandela ni Dreyfus, hein, il faut être clairs. Mais il est évident que l'exécution provisoire, qui a été votée par le parlement, pose réellement un problème. Pour Nicolas Sarkozy et pour Marine Le Pen, c'est une manière un peu désinvolte et précipitée de s'épargner l'embarras de la réflexion en disant : "on a l'exécution provisoire, on verra après l'appel". Mais ça porte atteinte profondément à ce qu'on appellerait une véritable justice.
Cette case prison a eu un double effet pervers. D'abord évidemment sur le plan de notre conception de la justice. Et surtout la discussion sur l'exécution provisoire a complètement occulté le débat sur la validité du jugement qui, contrairement à ce qu'on prétend, a été d'un pointisme juridique absolu et qui a été plutôt indulgent à l'égard de Nicolas Sarkozy. Évidemment, je n'ai pas pu le dire, ou très peu, parce que l'exécution provisoire bouchait tout l'horizon judiciaire.
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