Quatre bouffées ont suffi à le faire "décoller". Nicolas Durand (prénom modifié) pensait se "détendre" en fumant du CBD, une molécule extraite du cannabis réputée pour ses vertus relaxantes, mais a vécu l'extrême opposé.
Accélération du rythme cardiaque, oppression au niveau de la cage thoracique, suivies d'une crise d'hilarité incontrôlable: "Je suis défoncé et au bord de la crise d’angoisse", confie-t-il à l’AFP. "J'ai eu peur."
Les "bad trips" liés au CBD, vendu légalement en France dans un réseau d'environ 2.000 boutiques, bureaux de tabac et sites Internet, se multiplient, selon les autorités sanitaires, qui recensent plusieurs centaines de cas d'intoxication depuis début 2024.
En juin, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et l'Anses (sécurité sanitaire) ont alerté: certains produits "contiennent d'autres substances, rarement identifiées sur l'emballage, dont la consommation provoque une hausse significative des intoxications".
- Molécules "alternatives" -
Les effets indésirables, parfois dangereux, sont liés à la présence de cannabinoïdes de synthèse, des molécules dites "alternatives", qui peuvent être aspergées sur des fleurs de CBD ou intégrées à des produits transformés tels que des gummies, des huiles ou du e-liquide.

Des visiteurs regardent des produits exposés au premier salon du CBD, le 21 mai 2022 à Paris
Emmanuel DUNAND - AFP/Archives
Créés en laboratoire, les cannabinoïdes de synthèse imitent les effets psychoactifs du THC, légal dans plusieurs pays mais interdit en France, où sa teneur dans les produits ne doit pas dépasser 0,3%.
"Quand un urgentiste m'a appelé pour me parler d'un cas d'intoxication au CBD, je lui ai dit que c'était impossible", se remémore Joëlle Micallef, présidente du réseau français d'addictovigilance à Marseille.
La pharmacologue a reçu près d'une centaine de signalements depuis mars 2024. "Une dynamique croissante, sachant qu'environ 1% des cas seulement nous sont rapportés", souligne-t-elle.
"Ces substances sont fabriquées au sein de l'Union européenne, en Espagne, aux Pays-Bas, etc., à partir de précurseurs chimiques importés de Chine ou d'Inde", détaille Corinne Cléostrate, directrice des services douaniers.
Un jeu du chat et de la souris avec les trafiquants, qui cherchent à "s'immiscer dans les réseaux de distribution avec une apparence légale", ajoute-t-elle.
En juin 2023, à la suite de dizaines de cas d'intoxication, l'ANSM classe un dérivé synthétique du THC, le HHC, comme stupéfiant. Aussitôt, un substitut, le 10-OH, fait son apparition.
Peu chers et plus faciles à produire que la cocaïne, les cannabinoïdes de synthèse sont conçus par des chimistes "pour contourner la classification des stupéfiants", précise encore Mme Cléostrate, et sont parfois indétectables.
- Flou juridique -
L'EDMB-4en-PINACA a été analysé pour la première fois en mai sur une fleur de CBD au laboratoire des douanes près de Paris.
Cette molécule aux effets psychoactifs puissants est présentée comme le cannabinoïde de synthèse "le plus utilisé par les organisations criminelles", selon la direction des douanes.
Face à sa toxicité, l'Union des professionnels du CBD (UpCBD) émet une alerte à ses adhérents.
"On a envoyé plus de 1.000 tests à quasiment toutes les boutiques en France", explique à l'AFP Paul MacLean, président de l’UpCBD, qui promeut le "bien-être et la détente". Selon lui, les cannabinoïdes de synthèse nuisent au business.
Le flou juridique autour de la réglementation des produits au CBD entretient la confusion, selon les professionnels du secteur interrogés par l’AFP.
Par exemple, faute d'évaluation européenne, les aliments contenant du CBD sont vendus en France, alors même qu'ils sont interdits car ils n'ont pas obtenu d'autorisation préalable.
"Beaucoup de professionnels sont un peu perdus et ne savent pas eux-mêmes ce qui est légal ou illégal", affirme Paul MacLean.
Il plaide pour sortir d'un entre-deux en interdisant "tout procédé conférant des effets psychotropes à la fleur de cannabis" ou "en encadrant la légalisation du cannabis".
"Si demain on légalise le THC, toutes ces molécules de synthèse disparaîtront", veut croire M. MacLean.
Actuellement, les grossistes ne manquent pas et les vendeurs de CBD s'approvisionnent la plupart du temps à l'étranger, où la réglementation diffère.
Dans un magasin parisien, des brownies au "Delta 7" sont fabriqués aux Etats-Unis où le cannabis est légal dans plusieurs États. D'autres produits sont marketés "HE" pour "High Effect".
Nicolas Durand n'a jamais su ce qu'il avait fumé. La composition de la "Fleur CBD Super Lemon Exotic" n'était pas précisée au dos du paquet.
En 2022, 10% des Français adultes ont déclaré avoir consommé du CBD, selon Santé publique France.
Par Charlotte HOUANG / Paris (AFP) / © 2025 AFP