Édouard Philippe a décidé, a l’évidence, de commencer à faire entendre sa différence. Et ça ne date pas du psychodrame Collomb. Souvenez-vous, lorsque éclate l’affaire Benalla, il met plusieurs jours avant de répondre, avec vigueur, certes, lors des questions au gouvernement à l’Assemblée, mais on est loin du premier ministre qui vole au secours de son président, surtout quand ce président est si durement attaqué.
Sa manière de répondre à la fois calme, argumentée mais sobre, c’est a dire sans chanter les louanges du chef de l’état, sa probité, son honneur, bref tout l’attirail habituel en pareil cas, tout cela sonne comme le célèbre "lui c’est lui et moi c’est moi" , évoqué par Laurent Fabius et pour d’autres raisons, à propos de François Mitterrand. Autrement dit, l’affaire Benalla concerne l’Élysée et lui seul. Pas question d’être éclaboussé par un sujet auquel il est absolument étranger.
Et sur la démission de Collomb, c'est encore plus probant. Cela fait des semaines que Philippe plaide pour débarquer Collomb. Pourquoi ? Pour ses résultats assez inexistants, ou pour son désir de retourner à Lyon exprimé publiquement. Ensuite parce que la rupture concerne le président et son ministre de l’intérieur. C’est à la fois une rupture politique et personnelle. Dans ce mélange subtil entre intérêt électoral, hyper-affectivité et vexation narcissique, d’un côté comme de l’autre, Edouard Philippe n’a rien à voir dans cette affaire
Et il prend même - dans la tempête gouvernementale - des accents de leader. En gros il parle comme un Président, devant les députés, devant les sénateurs ... "Je prendrai mes responsabilités" dit-il "C’est de ma responsabilité. Le premier ministre se doit d’assurer etc". Il parle en majesté, et d’ailleurs, le communiqué de l’Élysée lui répond d’une certaine manière "le président attend les propositions du premier ministre", ce qui est une façon élégante de le ramener à son rôle de collaborateur, comme le dirait Nicolas Sarkozy...
En tout cas cela dit beaucoup de la nouvelle posture d’Édouard Philippe. Ce dernier, malgré son âge, est un vieux routier de la politique, un élu de terrain. Il connaît ce pays. Il sent bien que les voyants sont au rouge pour Emmanuel Macron. Et s’il est un converti de la dernière heure, il n’a pas la foi du charbonnier. Contrairement à Gérard Collomb ou Christophe Castaner, qui ont eu les yeux de Chimène pour le Président, Edouard Philippe n’est en rien fasciné par le çhef de l’état. Il sent la solitude de Macron, son repli sur un tout petit cercle qui tient sur les doigts des deux mains, il sent aussi les lignes bouger ... Les alliés d’hier qui commencent à enterrer le champion, il voit la droite désorganisée, cassée entre Laurent Wauquiez qui tient les clés du parti mais ne parvient toujours pas à conquérir le cœur de l’opinion, et les prémices de positionnements de ces grands élus des territoires que sont Xavier Bertrand ou Valérie Pecresse.
Alors comme tous les premiers ministres, ou presque, il se dit certainement pourquoi pas moi ? C’est aussi cela, la limite de la conquête express et unique du pouvoir par Emmanuel Macron. Beaucoup d’alliés par mer calme et beau temps .... Peu ou aucun ami quand le vent se lève et que la mer est démontée. Illustrant parfaitement l’adage immortalisé par le chef gaulois Brennus, après le sac de Rome : "vae victis : malheur aux vaincus" ... Et en la matière , Édouard Philippe n’a pas vraiment la vocation d’un martyre.