De l’ombre des usines à la lumière des sites de ventes en ligne, la Chine ne se contente plus d’être l’atelier du monde. Elle s’impose désormais comme le magasin du monde, notamment via les plateformes à bas prix telles que Shein, Temu ou AliExpress. L’ouverture d’un magasin Shein au BHV, au cœur de Paris, incarne cette ambition d’enracinement. Il symbolise l’infiltration d’un acteur chinois dans l’un des temples du commerce français. Avec ce type d'implantation, la Chine cherche à légitimer ses marques et à leur conférer un ancrage culturel. Le tout en consolidant sa présence économique dans les capitales occidentales.
Le soft-power marchand : un nouvel outil d’influence chinoise
Au-delà de la simple concurrence commerciale, ce phénomène révèle une stratégie d’influence et d’implantation globale de la Chine, qui ne vend pas seulement des produits. Elle diffuse ses logiques de consommation à l’échelle mondiale.
Les plateformes de vente à bas prix constituent aujourd’hui un vecteur inédit du soft-power chinois. L’influence de Pékin ne passe plus seulement par l’industrie ou les investissements d’État, mais par la consommation quotidienne. Chaque clic sur Shein ou Temu familiarise un peu plus les Européens avec l’écosystème numérique chinois et ses logiques commerciales.
Mathias Leboeuf sur #Shein :
— Sud Radio (@SudRadio) November 4, 2025
"C’est la loi du marché. C’est le capitalisme d’État. Quand on est libéral, il faut l’être jusqu’au bout !" #MettezVousDaccord pic.twitter.com/iRX2zFea4m
Une chaîne de production contrôlée de A à Z
Ce soft-power marchand repose aussi sur la banalisation des marques chinoises. Les consommateurs européens, séduits par les prix, finissent par intégrer ces plateformes dans leurs habitudes, sans se soucier de l’origine et de l’impact écologique des produits. Cette familiarité installe alors une dépendance subtile. Les standards de consommation sont désormais dictés par le modèle chinois. Qu’il s’agisse de la vitesse de renouvellement des collections ou du rapport au prix.
Ces plateformes bouleversent les circuits traditionnels. En contournant les distributeurs, elles livrent directement aux consommateurs européens des produits à très bas prix. Cette domination repose sur un modèle intégré où la Chine contrôle toute la chaîne : conception, fabrication, transport et distribution. Et cerise sur le gâteau, elle profite d’une exemption douanière pour les petits colis de moins de 150 euros. Un avantage lui permettant de proposer des tarifs imbattables.
Une dynamique d’achat compulsif
La percée du commerce chinois en Europe s’appuie alors sur une stratégie logistique et numérique unique. En 2024, selon la Commission européenne, près de 4,6 milliards de colis d’e-commerce d’une valeur inférieure à 150 euros ont été livrés dans l’Union européenne, dont 91 % en provenance de Chine.
L’ultra-réactivité des plateformes chinoises complète leurs avantages économiques. Ces sites mettent chaque jour en ligne des milliers de nouveaux articles, souvent vendus à moins de dix euros. Cela créer une dynamique d’achat compulsif entretenue par les campagnes marketing agressives sur les réseaux sociaux en prenant des influenceurs en têtes de gondoles. Peu à peu, ces plateformes transforment l’acte d’achat en un geste quotidien. Cette pratique ancre alors la présence économique chinoise au cœur des habitudes de consommation européennes.
.@f_dedieu sur l'arrivée de #Shein en France : "Ce processus de crise du textile a commencé depuis 25 ans, ça fait 25 ans qu'on tue notre filière du textile en France, et notamment depuis l'entrée de la Chine à l'OMC en 2001"#MettezVousDaccord pic.twitter.com/1lqxBPqWEF
— Sud Radio (@SudRadio) November 6, 2025
La France et l’Union européenne réagissent
Mais la France réagit. Avec la polémique autour de la vente des poupées sexuelles à caractère pédopornographique de Shein, le gouvernement a aussitôt lancé une procédure de suspension du site. L’état français exige notamment le retrait de l’ensemble des armes de catégorie A en vente sur son site sous 48 heures.
Ce scandale s’ajoute à une série de sanctions. En juillet 2025, Shein avait déjà écopé d’une amende de 40 millions d’euros pour pratiques commerciales trompeuses, avant d’être frappé, en septembre, d’une amende record de 150 millions d’euros infligée par la CNIL pour non-respect du RGPD. Côté européen, l’UE prévoit la suppression du seuil douanier de 150 euros. Bruxelles souhaite également instaurer un cadre de responsabilité accrue obligeant les plateformes à garantir la conformité des produits proposés par des tiers.
Une menace existentielle
Car la conquête du marché européen n’est pas qu’idéologique. Elle est aussi économique. Pour les professionnels du textile, l’essor de la fast-fashion chinoise représente une menace existentielle. Le secteur du textile et de l’habillement en Europe, qui emploie environ 1,3 million de personnes pour un chiffre d’affaires de 170 milliards d’euros, subit de plein fouet cette concurrence à bas coût.
Les fédérations de l’habillement et du commerce de détail dénoncent une distorsion de concurrence impossible à rattraper. En France, l’ouverture du point de vente Shein à Paris a été vécue comme une provocation par les commerçants, alors même que de nombreuses enseignes locales ferment leurs portes ces dernières années à l’image de Camaïeu, Kaporal ou Pimkie. Reste à savoir si cette colère sera entendue ou si ces sites chinois continueront de s’implanter au sein du Vieux Continent.