Benjamin Morel, constitutionnaliste français, politologue et maître de conférences, a fait le point sur la situation chaotique du pays ce matin sur Sud Radio et les conséquences immédiates en cas de censure demain du gouvernement Lecornu 2.
« Si 23 socialistes votent la censure, on se dirige vers un nouveau Premier ministre, fût-ce Lecornu, ou vers une dissolution »
Que va-t-il précsément se passer dans les prochaines heures ?
« On devrait avoir un conseil des ministres mardi. Ce conseil des ministres devrait donner lieu au dépôt du projet de loi budgétaire au Parlement. Le fait uniquement de le faire déposer, étape qu'on n'arrivait pas à franchir et qui est quand même un petit peu importante, devrait être derrière nous. Ensuite, on aura une déclaration de politique générale qui devrait donner lieu à des motions de censure. Dès aujourd'hui, une motion de censure devrait être d'ailleurs déposée par les Insoumis. Mais les motions de censure beaucoup plus dangereuses pour le gouvernement seront déposées après cette déclaration de politique générale. Et là, si jamais il y en a une du Parti socialiste, on peut déjà acter le fait que le gouvernement tombera en fin de semaine. S'il y a une motion écolo-communiste-Union de la gauche, ce sera un peu moins évident. Mais il suffit que 23 socialistes votent la censure pour que le week-end prochain, on attende soit potentiellement le nom d'un nouveau Premier ministre, fût-ce Sébastien Lecornu, soit qu'on se dirige vers une dissolution. »
« La pression sur Macron »
Si la situation devenait intenable pour Emmanuel Macron, la seule solution qui s'imposerait à lui ne serait-elle pas plutôt la dissolution ?
« Potentiellement, oui, même si Emmanuel Macron pourrait être tenté de nommer un nouveau Premier ministre. Mais il faut bien comprendre que la dissolution, pour lui, se termine mal. Le seul qui peut avoir une majorité absolue aujourd'hui, c'est le Rassemblement national. Donc la première issue d'une dissolution, ce serait pour lui une cohabitation. La deuxième issue, beaucoup plus probable à ce stade-là, quand on prend les enquêtes, c'est qu'il n'y ait pas de majorité du tout, mais qu'il y ait quand même beaucoup plus de RN. Et qu'à partir de là, on se retrouve dans une situation où, bon an mal an, on a un blocage encore plus aigu que celui d'aujourd'hui, qui probablement conduirait beaucoup de partis politiques, à demander, cette fois-ci, à nouveau sa démission. Donc, il y aurait une pression. »
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— Sud Radio (@SudRadio) October 13, 2025
« Les lois spéciales ont un impact sur l'économie »
D'un point de vue technique, s'il n'y avait pas de budget de voté, qu'est-ce que cela signifierait finalement pour la France ?
« Il y a plusieurs façons, entre guillemets, de ne pas avoir de budget de voté. Si jamais au bout de 70 jours, le Parlement ne s'est pas prononcé, qu'on n'a pas eu de dissolution et qu'on a potentiellement encore un gouvernement, le budget pourrait être... exécuté par voie d'ordonnance auquel cas, il n'y a aucun impact - il y a l'impact de l'application du budget, si vous voulez, qui ne sera peut-être pas forcément un budget très sympathique pour les Français - mais les ordonnances valent et prévalent tant que l'on vote un budget. Si on n'en vote pas, elles prévalent jusqu'à fin 2026. L'autre voie, si jamais on est vraiment en incapacité d'avancer, si jamais il y a une dissolution entre-temps, si le gouvernement est renversé et ne peut pas appliquer les ordonnances au bout de 70 jours, c'est qu'on roule avec des lois spéciales, comme l'année dernière. Et donc, ces lois spéciales, en revanche, elles ont un impact sur l'économie, parce qu'il faut bien comprendre que les dépenses de l'État sont reconduites par douzièmes provisoires. Donc, un douzième chaque mois avec une forme de copier-coller du budget de l'année dernière, ce n'est pas tout à fait vrai, c'est-à-dire que ne sont reconduites que les dépenses routinières, les dépenses courantes de l'État. Pas les dépenses exceptionnelles, notamment d'investissement. »
« L'ensemble de l'économie peut en souffrir »
Ça veut dire quoi concrètement ?
« Cela signifie que derrière, il y a des marchés publics qui ne se font pas. Donc, il y a des entreprises qui en souffrent. Ça veut dire que, derrière, il y a des sous-traitants de ces entreprises qui en souffrent, et que ça se ressent sur l'ensemble de l'économie et qui plus est, les marchés vont nous regarder d'un œil torve. Donc cette situation-là n'est pas tout à fait idoine. La dernière fois qu'on a eu ce cas de figure, on a eu un budget au mois de février. Cette fois-ci, on a des municipales au mois de mars et on n'a pas vraiment de raison de croire que des parties qui ne se sont pas mis d'accord au mois de novembre ou au mois de décembre seront capables de se mettre d'accord en pleine municipalité. »
« Notre croissance va prendre un coût non négligeable »
Certains économistes restent résolument optimistes et affirment que la croissance va repartir en 2026 ?
« Je ne suis pas du tout économiste mais ce qui est certain, c'est que quand vous regardez aujourd'hui un peu la croissance française, ce qui la tient, visiblement, c'est ni la consommation ni les exports, mais le peu d'investissements publics que l'on a. Comprenez bien que si vous avez des collectivités en pleine fébrilité parce qu'elles ne sauront pas quelle est leur dotation, si vous avez un État qui roule avec des lois spéciales et qui donc ne peut pas investir, notre croissance va prendre un coût non négligeable. »