À l’ère des intelligences artificielles génératives, la création artistique traverse une mutation sans précédent. Chacun peut désormais, à l’aide d’un simple prompt, générer une chanson, une image ou un texte. Mais cette démocratisation soulève une question cruciale : qui est l’auteur lorsque l’œuvre est produite par une machine ? Brice Homs, vice-président et président du Conseil Stratégie Innovation de la SACEM, et lui-même artiste, défend depuis des années les droits des créateurs dans cet environnement numérique en pleine effervescence.
« La machine ingère, retravaille, pulvérise et reconstitue un semblant d'oeuvre »
« Avec une intelligence artificielle générative et les applications qui sont sur le marché, je vais passer commande, un prompt », explique Brice Homs au micro de Sud radio et de Vanessa Perez dans « Le numérique pour tous ». « Par exemple : “Je veux quelque chose qui fasse un peu du rock des années 60, comme un groupe qui vient de Liverpool (les Beatles), qui fait des chansons entraînantes et puis, j’aimerais bien que sur le refrain, ça soit plus un peu comme un autre groupe…” La machine qui a ingéré le programme et toutes les œuvres existantes va les retravailler, va les pulvériser, va les reconstituer, puis va me sortir quelque chose qui ressemble à tout ce qui a été ingéré et surtout à ce que j’ai demandé avec des mots-clés. C’est de la statistique. »
Œuvre originale ou vol déguisé ?
Pour Brice Homs, la réponse est sans détour : « C'est clairement de l'utilisation de propriété intellectuelle d'artiste puisque toutes ces œuvres ont été utilisées pour les désosser, les reconstituer, les mixer, les atomiser. C'est du vol. Ce sont nos œuvres qui sont utilisées sans notre accord. »
« Si la science permettait de faire des tubes, ça se saurait »
La tentation est grande de croire qu’un algorithme pourrait produire le prochain hit planétaire. Mais Homs nuance : « Ce qui fait un tube, ce n’est pas tellement de copier des tubes précédents, c’est que ça plaise aux gens. Et ce qui va plaire aux gens, ce qui va les toucher, ce qui va leur rester dans la tête, personne ne peut le savoir. Donc on peut utiliser toute la science qu’on veut pour créer un tube : si ça suffisait à en faire un, ça se saurait. C’est tout le mystère et c’est toute la beauté de la création. »
« Une intelligence artificielle ne peut pas générer d'émotion »
« Une intelligence artificielle ne peut pas en générer, tranche Homs. C’est quelque chose qui fait des statistiques et qui répond à votre prompt. Elle va effectivement faire un calcul mathématique de probabilité qui va essayer de vous satisfaire et vous donner quelque chose le plus près possible de ce que vous avez demandé. Un artiste, c’est l’inverse. Un artiste va essayer de se connecter à vous. »
« Un IA est comme un shaker »
Même si l’IA parvient à imiter parfaitement le style d’un artiste, elle reste fondamentalement différente. « Une IA ne comprend pas ce qu’elle fait. Elle fait des maths, elle fait des statistiques, elle a emmagasiné des œuvres, appuie Brice Homs. C’est un shaker, on secoue et on ressort quelque chose en fonction de la demande qui va aller piocher et mettre statistiquement des choses bout à bout. Il n’y a aucune intention, il n’y a aucune dédicace, encore moins de dédicace de soi, parce qu’il n’y a personne. Ce sont simplement des ajustements de mots. »
« Le combat n’est pas perdu parce qu’il n’a pas encore commencé
La SACEM, qui collecte et redistribue les droits d’auteur pour les œuvres musicales, littéraires et dramatiques, se bat pour faire respecter les droits des créateurs. Mais face aux millions d’utilisateurs et aux mastodontes que sont certaines plate-formes, le combat semble inégal voire perdu d'avance.
« Le combat n’est pas perdu parce qu’il n’a pas encore commencé, nuance Homs. Nous, ce qu’on demande, c’est une transparence. Quelles sont les œuvres utilisées ? Quelles sont les œuvres ingérées ? Ces sociétés ne veulent pas nous le dire. Donc c’est aux législateurs de les contraindre. Nous leur demandons de nous protéger là-dessus contre l’utilisation par les plate-formes de nos œuvres sans notre accord. Le droit d’auteur, c’est un droit. »