Plus d’un siècle s'est écoulé, mais Verdun, la Marne, la Somme ou encore le Chemin des Dames, batailles historiques de la Première Guerre mondiale (1914-18), résonnent toujours dans les mémoires françaises. Des affrontements sanglants et déterminants dans la victoire finale, qui ont hautement été commémorés tout au long de ce mardi 11-Novembre, jour de l'Armistice de 1918, faut-il le rappeler.
Mais certaines batailles de cette Grande Guerre sont aussi tombées dans les oubliettes de l’Histoire. Dans la multitude de combats que les armées françaises ont menés, ceux du mois d’août 1914 figurent parmi les plus violents. À Charleroi, du 21 au 23 août 1914, les premières confrontations entre Français et Allemands font rage à la frontière franco-belge. Dans les bois de la Sambre, les divisions tricolores qui s’enfoncent dans les bosquets ne savent pas encore qu’elles s’apprêtent, en ce 22 août, à subir la journée la plus sanglante de leur histoire. En 24 heures, plus de 27 000 braves soldats français tombent sous la mitraille. Une véritable boucherie.
Couper la route pour Paris
Nous sommes alors dans ce que l’on appelle la bataille des frontières. En ce temps-là, l’Allemagne n’a fait qu’une bouchée du plat pays et s’enfonce dans les terres de France. Par la Belgique donc, mais également par les Ardennes. Les deux avancées ennemies cristallisent alors les premières lignes de front de la Première Guerre mondiale. Pour stopper l’avancée des ennemis, le haut commandement français, dirigé par le généralissime Joffre, décide d’envoyer la cinquième armée menée par le général Lanrezac, qui devra affronter les IIe et IIIe armées allemandes en marche sur la France et sur Paris.
Ne pas oublier la date du 11 novembre !@perikolegasse :"Ça c'est la vraie guerre, elle se reproduira en 1939. N'oublions pas les garçons morts au combat" #LaFranceDansTousSesEtats pic.twitter.com/0CzaD3DDMh
— Sud Radio (@SudRadio) November 11, 2025
“Offensive à tout prix”
Mais alors que les premiers combats de la Grande Guerre n’ont pas encore commencé, même les membres de l’état-major français n’ont pas idée de ce qui attend les troupes tricolores.
La fleur au fusil, les dignes descendants des soldats de l’Empire obéissent alors à la seule doctrine présente dans l’armée française : “offensive à tout prix”. Mais les guerres napoléoniennes appartiennent au passé, les attaques à répétition sont vaines, et les batailles ne se gagnent plus à la sueur du front et à la force des bras des hommes. L’heure de la technologie et des nouvelles armes a sonné, la guerre du XXe siècle a basculé dans une autre dimension et va frapper de plein fouet les hommes qui connaissent alors un terrible baptême du feu.
C’est donc sans aucune connaissance des technologies modernes que la cinquième armée s’enfonce dans les forêts de la Sambre. Vêtus de leur pantalon rouge, les guerriers tricolores découvrent l’horreur : batteries d’artillerie par centaines, jets d'obus à répétition, mitrailleuses capables de tirer 400 à 600 coups de feu par minute ou encore nouveaux fusils pouvant tirer 20 coups par minute (le Mauser allemand).
Pertes innombrables et violence inouie
Dirigée par le général Lanrezac, la cinquième armée subit un brouillard épais dans les premières heures de la matinée. L’artillerie française équipée de son “75” ne peut que partiellement bombarder les lignes allemandes. L’infanterie est alors lancée dans les bois, orpheline de son artillerie. En infériorité numérique, les Allemands, bien plus organisés et ayant la maîtrise du terrain, surprennent malgré tout les troupes françaises.
Dès les premières heures de la bataille, les pertes sont innombrables et la violence inouïe. Les Allemands, eux, utilisent leur artillerie, alors que les marmites (obus) explosent, déchirant un arbre ou pulvérisant des unités de soldats. Les mitrailleuses allemandes, parfaitement disposées, emportent en un claquement de doigts des centaines d’hommes s’élançant vers les lignes ennemies. Le choc est total et l’offensive de la cinquième armée est stoppée à peu près partout.
Dans ses mémoires, le général Lanrezac évoque cette offensive du 22 août : "Nos fantassins ne se laissent pas arrêter par les projectiles de l'artillerie adverse ; ils courent à l'infanterie ; mais soudain, ils sont criblés de feux de mitrailleuses et de mousqueterie, partant à courte distance et qui jettent à terre en un instant la plupart des chefs et des meilleurs soldats.”

“La Première Bataille du siècle”
Fidèles à leur dogmatisme d’avancer coûte que coûte, les officiers français regroupent, malgré les pertes, les divisions restantes, contre-attaquent et repartent à l’assaut durant toute la journée. Au soir du 22 août, le bilan côté français s’élève à 27 000 soldats tombés sur le champ d’honneur. Côté allemand, les chiffres sont aussi désastreux : environ 14 000 sont morts. Une journée si sanglante qu’à la fin des combats, même l’état-major du Kaiser ignore qui a remporté la victoire.
Charleroi est “la Première Bataille du siècle”, comme l’ont nommée les historiens Damien Baldin et Emmanuel Saint-Fuscien — auteurs de Charleroi 21-23 août 1914 (Tallandier, 2012). Un exemple typique des combats qu’ont connus les armées françaises au début des affrontements et qui lance la guerre de mouvement caractérisant les premiers mois du conflit.
Avec 27 000 morts, cette bataille oubliée est pourtant non seulement l’affrontement ayant causé le plus de morts dans l’Histoire de France, mais aussi le jour le plus meurtrier de notre pays. À titre de comparaison, l’offensive à Charleroi a causé plus de morts que la guerre d’Algérie, la bataille de Waterloo ou encore le Débarquement.
Victoire de la Marne
Cette défaite montre alors les prémices de la violence de la Première Guerre mondiale et indique aussi le peu de considération portée à la vie des hommes par le haut commandement français.
Toutefois, suite à cette déroute, les Français se replient alors vers la Marne, où l’on commence à s’enterrer et creuser des lignes de tranchées de plusieurs kilomètres. La suite appartient à l’histoire : début septembre 14, les armées françaises, remobilisées et mieux organisées, remportent alors la bataille de la Marne et stoppent l'invasion Allemande. Enfin une première grande victoire française dans cette première Première Guerre mondiale... mais à quel prix.