Immigration :"Il n'y a aucune honte à vouloir maîtriser son flux migratoire !". Au micro de Sud Radio, Jean-Michel Blanquer, ancien Ministre de l’Éducation Nationale et auteur de « Civilisation française » a répondu aux questions de Jean-François Achilli.
Jean-François Achilli : "Cette semaine aussi ce sera le dixième anniversaire des attentats de Paris et de Saint-Denis. Il est important de commémorer, on a l'impression que la mémoire s'efface ?"
Jean-Michel Blanquer :"Je ne suis pas sûr de ça parce que lorsqu'il y a eu de 2014 à 2018 tout le travail de commémoration pour le centenaire de la guerre. On a vu au contraire depuis le fond du pays un vrai engouement je dirais pour se remémorer cela et le faire d'une façon vivante parce que tout le monde en France a plus ou moins un arrière-grand-père ou au-delà qui a été impliqué et souvent mort dans la Première Guerre mondiale. Donc je pense que le pays est encore très imprégné de cette Première Guerre mondiale"
"Nous sommes menacés par la perte de confiance en nous-mêmes"
Jean-François Achilli :"Vous écrivez dans votre livre « Oui, la France est une civilisation ». Je vous cite Jean-Michel Blanquer "Elle peut cesser de l'être, elle peut au contraire trouver une vitalité nouvelle en se reconnaissant comme telle" La civilisation française est-elle aujourd'hui menacée par qui, par quoi ?"
Jean-Michel Blanquer :"D'abord son existence est importante à souligner parce que parfois on oublie d'utiliser ce mot « civilisation française ». Il faut rappeler que le mot a été inventé par les Français par le père de Mirabeau au XVIIIe siècle et c'était synonyme un peu de civilité finalement, ça voulait dire s'élever individuellement mais collectivement. Et donc il y avait une sorte d'exigence vis-à-vis de soi-même et d'exigence de la France vis-à-vis d'elle-même à être une civilisation. Et nous sommes je crois menacés notamment par deux choses. D'abord la perte de confiance en nous-mêmes. Et vous venez d'évoquer la Première Guerre mondiale. Je pense que le XXe siècle a créé progressivement avec les deux guerres mondiales, avec les crises économiques, une sorte de perte de confiance en nous-mêmes. Ce qui fait que nous avons une image de nous-mêmes comme étant un peuple pessimiste"
"C'est-à-dire que nous sommes un pays qui s'est beaucoup aimé et nous étions connus même jusqu'au XXe siècle comme étant un pays joyeux, un pays qui avait inventé beaucoup de choses de l'art de vivre et qui, quand vous voyez tous les témoignages des siècles passés sur la France, ce qu'on disait de la France c'est que c'est le pays de la gaieté d'une certaine façon. Et donc qui allait de pair avec une confiance en soi, une vaillance, qu'il faut maintenant retrouver dans notre sève civilisationnelle. Et c'est un peu le sens de ce livre"
"C'est naturel de vouloir maîtriser son destin"
Jean-François Achilli :"Vous dites territoire, langage, république, ce sont les trois composantes de cette civilisation française. Jean-Michel Blanquer, est-ce que ces composantes sont mises à mal dans la France d'Emmanuel Macron aujourd'hui ?"
Jean-Michel Blanquer :"Ce n'est pas seulement la France d'Emmanuel Macron, c'est la France depuis plusieurs décennies. Le premier élément que je développe avec la question du territoire, de notre territoire national, j'utilise le singulier, c'est que pendant des siècles, et c'était ça qui était civilisationnel, gouverner la France, c'était maîtriser le territoire, avoir une idée du territoire, parce que la France au début c'était une idée. Et une idée qui progressivement se concrétise par des frontières et par un équilibre. Et puis, depuis environ trois décennies, l'art politique est devenu l'art de réparer ce territoire, comme si ce territoire évoluait de faits, de facteurs que nous ne maîtrisons pas. Notamment la question de l'équilibre territorial. Et donc, mon idée assez simple mais importante sur le sujet : nous devons reprendre la maîtrise de ce qu'est notre territoire, et avoir une idée de ce que doit être notre territoire à l'horizon 2050"
"Et l'une des premières propositions concrètes, c'est d'abord de partir du fait que la France a un potentiel maritime considérable. Nous sommes la première façade maritime européenne, nous sommes le deuxième domaine maritime mondial, et historiquement, nous sommes toujours passés un peu à côté de notre énorme potentiel maritime. Donc je développe ça, et évidemment, de ce fait, je développe la question des port"
"Être un pays et être une civilisation, c'est avoir une certaine maîtrise de notre destin collectif. Donc tout ceci doit être fait tranquillement, mais sûrement et sereinement. C'est dommage que ce soit devenu un sujet d'invective, de polémique, alors même qu'il y a quelque chose de naturel à chercher à avoir une maîtrise de notre destin commun"
"L'immigration sud-américaine et asiatique doit équilibrer l'immigration africaine. Ce déséquilibre n'est pas normal"
"L'immigration latino-américaine ou l'immigration asiatique doivent équilibrer l'immigration venue du continent africain. De la même façon, nous devons avoir un équilibre professionnel. Il y a des métiers qui sont en tension. Et tout ceci doit se faire au bénéfice de tout le monde, de tous ceux qui sont concernés, à commencer par les immigrés eux-mêmes et leurs pays d'origine. Parce que, en réalité, derrière les bonnes intentions de régularisation ou d'attraction, en réalité, on crée la fuite des cerveaux dans des pays qui ont besoin de leurs jeunes"
Jean-Françis Achilli :"Ce sont des sujets qu'on doit être sur la table, Jean-Michel Blanquer ? Ils sont tabous aujourd'hui ? Du moins, ils divisent "
Jean-Michel Blanquer :"Ce qui est très important, qu'il y ait du débat, c'est bien normal. Ce qui serait souhaitable, sur ce sujet comme sur d'autres, c'est que ce soit des débats calmes. C'est-à-dire qu'on puisse en parler de manière sobre et objectivée. C'est tout à fait normal de se dire qu'on ne veut pas un flux de plus de x milliers de personnes par an. Et ensuite, on le régule de cette façon. C'est tout à fait normal de dire qu'une personne qui est illégalement sur le territoire doit, de toutes les façons, être conduite ailleurs que sur notre territoire"
"Je suis chagriné par la situation du pays"
Jean-François Achilli :"Quand vous voyez les débats aujourd'hui, qu'est-ce que vous vous dites ? Content d'avoir quitté le navire, de ne plus en être acteur ?"
Jean-Michel Blanquer :"Oui, d'un point de vue personnel, c'est sûr. Après, ça me chagrine énormément que, je pense comme presque tous les Français. Je pense qu'on est chagrinés et plus que chagrinés de la situation du pays. Vous savez, on a battu un record de longévité au ministère avec votre serviteur de 2017 à 2022 et maintenant on est à 7 ministres de l'éducation nationale en 3 ans. C'est un désastre"
"7 ministres de l'Éducation nationale en 3 ans, mon cœur saigne en pensant à cela"
"Ce point-là, mon cœur saigne, oui, parce que nous avions un sillon qui était clair, qu'on aurait pu poursuivre avec d'autres personnes que moi, bien sûr, mais c'est dommage parce qu'une politique de long terme est possible. Il y a des choses assez simples qui sont possibles. Encore faut-il que nous soyons plus unis, je pense, dans notre pays et aussi qu'il y ait un message politique clair"
"Passer tant d'heures à commenter la sortie de Nicolas Sarkozy de prison, c'est une disproportion de l'information"
"Le fait qu'on passe tant d'heures, tant d'énergie sur cette question Sarkozy me paraît nous détourner notre attention du fait bien plus important. L'intelligence artificielle est en train d'être la nouvelle locomotive de l'économie mondiale. Dans le livre, j'essaye d'expliquer comment éviter que tout ça fasse finalement juste un duo Chine-États-Unis et un lent déclin de l'Europe. Ces choses-là devraient être discutées tous les jours"
"Au lieu de ça, on parle en réalité de sujets qui sont évidemment importants pour les personnes concernées mais qui ne sont pas en réalité le cœur de l'avenir du pays. Donc il faut être très attentif à cette disproportion dans l'information parce qu'avec ça, on passe à côté de sujets très importants. On a des sujets d'autorité de l'État aujourd'hui qui sont graves, qui ne sont pas dans l'information quotidienne et qui pourtant sont les vrais sujets qui... Nous sommes à côté de la plaque"
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