Deux ans après son lancement, l'aide universelle aux victimes de violences conjugales connaît un succès notable, mais reste souvent insuffisante pour réussir à quitter son conjoint sans accompagnement social.
Aux yeux des autres, la vie d'Armelle, gérante d'une entreprise familiale et mère de trois enfants, semblait ordinaire. "Tout se passait derrière les murs de la maison, où mon mari avait installé des caméras pour nous surveiller. Il avait placé des trackers sur ma voiture", explique cette femme de 57 ans, qui ne souhaite pas donner son nom de famille.
Elle se sépare de lui en 2024. "Je n'avais pas d'économies car je payais toutes les dépenses de la famille", dit-elle.
Orientée au tribunal vers une association, elle obtient l'aide universelle pour les victimes de violences conjugales, qui lui permet de payer "la nourriture, les factures".
Créée par une loi de février 2023 portée par la sénatrice centriste Valérie Létard, cette "aide universelle d'urgence" vise à couvrir les premières dépenses d'une femme fuyant son conjoint violent. Elle est versée sous trois jours en moyenne, selon la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf).
Fin septembre, près de 60.000 personnes en avaient bénéficié depuis son lancement en décembre 2023, pour un montant moyen de près de 900 euros, soit un budget total de 53 millions d'euros sur deux ans.
- Conditionnée à une plainte -
La quasi-totalité des bénéficiaires sont des femmes (290 hommes y ont eu recours) et 643 personnes ont touché cette aide deux fois, selon la Cnaf qui la verse.
"L'aide a été rapidement sollicitée et semble bien connue, avec un flux mensuel régulier de demandes", relève Gaëlle Choquer-Marchand, directrice générale déléguée chargée des politiques familiales et sociales de la Cnaf.
Elle est conditionnée à un dépôt de plainte, une ordonnance de protection ou un signalement au procureur datant de moins d'un an.
L'aide prend la forme d'une aide ou d'un prêt (remboursable par l'auteur des violences) pour un montant de 250 à 1.400 euros, selon les ressources et le nombre d'enfants. Dans la quasi-totalité des cas, elle a pris la forme d'aide non remboursable, relève un rapport du Sénat de juillet.
Elle sert "souvent à payer un déménagement ou des frais d'avocat, des dépenses du quotidien, rembourser des dettes. Certaines mettent cet argent de côté pour un départ futur", explique Laurine Vialle, intervenante sociale du Centre d'information sur les droits des femmes (CIDFF).
"Je ne travaillais pas, je me suis retrouvée sans rien. Cette aide m’a permis de payer les factures le temps d’obtenir le RSA", explique Valérie B., 57 ans, dont le mari a été arrêté en juin pour violences.
- "Complètement détruites" -
Ernestine Ronai, qui dirigeait jusqu'à l'été l'Observatoire départemental des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis, le 22 août 2019 à Paris
Zakaria ABDELKAFI - AFP/Archives
"Ce n'est pas la somme qui va faire la différence, mais l'accès à une assistante sociale qui va mettre à jour leurs droits" (RSA, allocation logement...), souligne Ernestine Ronai, qui dirigeait jusqu'à l'été l'Observatoire départemental des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis.
Car l'aide seule ne suffit pas à déclencher un départ, selon les associations. "Elle peut payer quelques nuits d'hôtel, mais ce n'est pas ça qui permet le départ. C'est bien plus complexe et plus global qu'une aide financière", souligne Mme Vialle.
"Ces femmes sont complètement détruites. Leur conjoint les a humiliées, elles n'ont plus aucune confiance en elles. Souvent leur partenaire gérait tout et les démarches administratives sont devenues complexes pour elles", explique-t-elle.
Le logement est le principal problème: "les hébergements d'urgence sont saturés avec des conditions de vie très difficiles pour les femmes", ajoute-t-elle.
Pour se reconstruire, elles ont besoin d'être accompagnées par des travailleurs sociaux, de soins psychologiques et de trouver du travail.
"Il importe que l'aide universelle d'urgence ne demeure pas une solution isolée mais s'intègre dans un continuum de solutions", concluait le rapport du Sénat.
Le ministère de l'Egalité hommes femmes reconnaît que l'aide doit s'articuler avec d'autres initiatives: priorité aux femmes dans les hébergements d'urgence, soutien psychologique. Le ministère expérimente ainsi dans douze départements un "pack nouveau départ": un référent coordonne autour de la femme des professionnels de France Travail, Action logement, associations...
Par Catherine FAY-DE-LESTRAC / Paris (AFP) / © 2025 AFP