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Pesticides au menu ? Des chefs disent non à la loi Duplomb

Par Luc Boué-Lahorgue

Avec une pétition cumulant plus de 1,8 million de signatures, la loi Duplomb déchaîne les passions. Adoptée au Parlement le 8 juillet dernier, seul le Conseil constitutionnel ou l'utilisation de l'article 10 de la Constitution par le président de la République pourrait empêcher sa promulgation. L'opposition crie à l'empoisonnement, et quatre cents chefs cuisiniers et acteurs de la restauration se joignent désormais à cette contestation.

Raccrocher sa toque pour faire entendre sa voix de citoyen : ce n’est pas dans l’habitude des chefs de cuisine. Mais voilà, au début du mois de juillet, le chef étoilé Jacques Marcon sort de sa réserve et interpelle le sénateur Laurent Duplomb sur son texte. « Avec cette loi, vous vous êtes érigé en porte-parole de l’industrie agroalimentaire qui privilégie une agriculture intensive et néfaste pour les générations futures », écrit-il. Un post largement relayé sur les réseaux sociaux, qui a amené d’autres figures de la restauration à aiguiser leurs couteaux contre la loi Duplomb."

Pesticides et alimentation : un mariage impossible

Glenn Viel, chef trois étoiles et juré de Top Chef, commence à bouillir : "Nous les restaurateurs, on est plutôt des besogneux, on ferme notre gueule et on avance. Mais à un moment, il faut taper du poing sur la table" Pour Marie-Victorine Manoa, la solution se trouve dans la rébellion générale : « Cuisiner des produits médicamentés et stériles n’excite personne. »

Impulsée par la prise de position sur les réseaux sociaux du chef Marcon, une tribune a été signée dans les colonnes de nos confrères du Monde, qui a déjà recueilli plus de quatre cents signatures. Les impliqués ? Des chefs étoilés, des collectifs et des restaurateurs de bistrot. Tous s’inquiètent de la qualité des produits servis dans leurs assiettes et réclament le retrait de la loi. Une profession qui, à travers cette tribune, rappelle sa mission première : "Nous faisons ce métier pour nourrir, pas pour empoisonner."

Dans les cuisines, l’heure de l’introspection

Ce n’est pas une simple pétition de plus. Derrière les quatre cents signatures de cette tribune publiée dans Le Monde, une fracture plus large, plus profonde se dessine. Une profession qui, à force de manier les produits, finit par se demander ce qu’elle en fait vraiment.

Jacques Marcon le dit sans détour, lui aussi a sa part de responsabilité : « Il faut qu’on se remette en question ». Une responsabilité partagée par tout un milieu, qui a parfois fermé les yeux sur les effets de ses exigences. Des cartes construites autour de bœuf Wagyu ou de produits importés, pendant que les races locales, comme le Salers, sont abandonnées. Des assiettes impeccables, mais parfois déconnectées du sol.

Dans une profession où l’on préfère souvent laisser parler la technique plutôt que l’éthique, le virage est net. Ce que les chefs réclament, ce n’est pas seulement le retrait d’une loi. C’est un sursaut. Une manière de dire : on a peut-être trop longtemps laissé faire. Et voilà que les fourneaux deviennent des tribunes.

Une loi dure à avaler, mais déjà digérée par le pouvoir

Annie Genevard, ministre de l’Agriculture, a rappelé mercredi 23 juillet au micro de LCI que « de toute façon, le texte sera promulgué. Le président de la République me rappelait ce matin, à l’issue du Conseil des ministres, qu’il est dans l’obligation de promulguer la loi. » Une obligation qui justifierait la sourde oreille du chef de l’État face à la grogne sociale montante. Au micro de Benjamin Glaise ce jeudi 24 juillet, le ministre de l’Industrie Marc Ferracci expliquait même qu’il faisait « confiance à la science » et « qu’il n’y a pas de lien de causalité entre l’utilisation de l’acétamipride et les cancers ».

Ce pesticide est le nerf de la guerre médiatique et sociale qui se joue en ce moment. Pour les chefs, il incarne la négation du vivant, le symptôme d’une agriculture à bout de souffle. Mais dans les champs, le regard est parfois tout autre. Une partie du monde agricole ne voit pas dans l’acétamipride un poison, mais un outil de survie. Beaucoup dénoncent l’hypocrisie d’un pays qui interdit certains produits sur son sol tout en laissant affluer des denrées importées, traitées avec ces mêmes molécules.

La France est la seule en Europe à avoir banni ce pesticide, un isolement vécu par certains comme une entrave à leur compétitivité. Dans les tracteurs comme dans les cuisines, les intentions sont les mêmes : défendre le terroir. Mais les chemins pour y parvenir divergent.

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