Combien y a-t-il vraiment de personnes sans domicile en France ? Quels sont leurs parcours, leurs besoins ? Près de quinze ans après la dernière étude d'ampleur de l'Insee, une nouvelle enquête est en cours. Les associations espèrent que ses résultats produiront un "électrochoc".
Lancée le 31 mars, cette étude de terrain auprès de 10.000 à 15.000 personnes fréquentant des services d'aide destinés aux plus précaires en métropole doit s'achever le 5 juillet. Les premiers résultats seront disponibles fin 2026.
"Ce n'est pas un recensement en tant que tel", explique à l'AFP Thomas Lellouch, directeur du projet à l’Institut national de la statistique et des études économiques. "Au-delà du chiffre sur lequel on est très attendus, on cherche vraiment à connaître quels sont les profils, les conditions de vie, les parcours des personnes sans domicile".
"Depuis 2012, le nombre de places d'hébergement a beaucoup augmenté, donc le nombre de personnes sans domicile, et les associations constatent sur le terrain que les profils ont beaucoup changé, d'où l'importance de dresser un panorama au plus proche de la réalité", ajoute-t-il.
Plus de 4.000 visites des enquêteurs de l'Insee ont été programmées dans 100 agglomérations, auprès de personnes de plus de 16 ans et fréquentant des structures d'aides.
- À disposition des associations -
Sont concernées les personnes sans abri (celles dormant dans la rue ou dans un autre lieu non prévu pour l’habitation comme un hall d’immeuble, un parking, un jardin public, une gare...) mais également les personnes mises à l’abri dans le cadre d’un dispositif d’hébergement (en centre collectif, à l’hôtel ou dans un logement ordinaire).

Un sans-abri dort sur un trottoir à Paris, le 21 avril 2025
JOEL SAGET - AFP/Archives
Les résultats de cette étude, menée avec la Drees, le service statistiques des ministères sociaux, seront ensuite mis à disposition des différents acteurs et du grand public.
"Les chercheurs vont s'en emparer pour travailler sur les mécanismes d'exclusion et les problématiques liées à la grande précarité", souligne Thomas Lellouch. "Les administrations pourront s'en servir pour mettre en place des politiques publiques. Quant aux associations, elles s'en servent comme des données de référence pour appuyer leur activité de plaidoyer auprès des institutions".
La précédente étude de l'Insee, de 2012, avait fait état de 143.000 personnes sans domicile, un chiffre en augmentation de 50% par rapport à la première enquête de 2001. Parmi les personnes sans domicile adultes francophones: 10% étaient à la rue sans solution d'hébergement - autrement dit sans-abri, deux sur cinq étaient des femmes et un sur quatre avait entre 18 et 29 ans et un sur quatre avait un emploi.
- Tablettes -
En treize ans, la méthode de l'Insee a évolué. Les maraudes ont été intégrées au champ de l'enquête et de nouveaux outils sont utilisés. "Avant, tout était sur papier, maintenant c'est sur tablette. On a des questionnaires en langue étrangère qu'on a fait traduire et qu'on a préenregistré sous forme de fichiers audio", souligne Thomas Lellouch.

Un sans-abri dans le métro à Paris, le 25 mars 2024
Emmanuel Dunand - AFP/Archives
Dans les questions, les thématiques autour de l'accès à l'alimentaire et à l'eau ont été enrichies tout comme les relations sociales, les recours aux associations ou les violences subies.
Cette nouvelle étude était une demande forte des associations concernées, qui alertent sur une dégradation de la situation.
Faute de données actualisées, la Fondation pour le logement des défavorisés (ex-Fondation Abbé Pierre) a entamé son propre décompte. Publié en février, son dernier rapport fait état de 350.000 personnes sans domicile en France.
Pour les associations, loin d'être anecdotique, l'absence de chiffres officiels a tend à invisibiliser ce public et empêcher des "politiques ambitieuses".
"C'est un atout d'avoir des chiffres consensuels qu'il est plus difficile de contester", déclare à l'AFP Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation pour le logement des défavorisés. "Les premiers résultats tomberont en pleine campagne présidentielle, on a l'espoir qu'ils produisent un électrochoc. Même si on n'est pas naïfs: il faudra une réaction très forte pour, a minima, enrayer cette dynamique négative".
Par Marine PENNETIER / Paris (AFP) / © 2025 AFP