Des peines allant de trois à quinze ans de prison ferme ont été requises par le parquet jeudi à Paris à l'encontre de huit hommes, afghans et kurdes irakiens, accusés d'être les "passeurs" à l'origine d'un naufrage meurtrier dans la Manche en 2023.
Dans ce drame qui avait entraîné la mort de sept candidats afghans à l'exil vers le Royaume-Uni, la représentante du ministère public a en revanche demandé au tribunal de libérer le neuvième prévenu, un ressortissant soudanais originaire du Darfour et pilote présumé de l'embarcation, en reconnaissant à ce rescapé du naufrage sa qualité de "victime".
Agés de 23 à 45 ans, poursuivis notamment pour homicides involontaires, les huit autres prévenus, "aveuglés par leur volonté d'enrichissement", ont "mis à disposition des embarcations de fortune surchargées à l'extrême", a fustigé la procureure durant ses deux heures de réquisitions qu'elle a démarrées par la lecture des noms des sept victimes.
"Alors qu'ils n'aspiraient qu'à l'espoir d'une vie meilleure, ils sont morts du mépris de ces passeurs pour la vie", a-t-elle affirmé.
- Chambres à air -
L'affaire remonte à la nuit du 11 au 12 août 2023, lorsqu'un "small boat" avec 67 personnes à bord quitte la plage de la Huchette, près de Calais.
En haute mer, après une avarie de moteur, le pneumatique de fortune chavire et les passagers afghans, ainsi que les deux pilotes présumés, se retrouvent à la mer, pour certains équipés de bouées faites de chambres à air gonflées. Bilan: sept morts et soixante personnes prises en charge par les secours maritimes français et britanniques.
Le procès qui s'est ouvert le 4 novembre devait examiner les responsabilités individuelles des prévenus présentés comme un réseau de passeurs qui organisait des traversées pour des migrants en situation irrégulière.
Selon l'enquête, ce réseau était organisé en deux branches, l'une irako-kurde chargée de la logistique, l'autre afghane chargée du recrutement des candidats à l'exil.
Mais la présidente du tribunal s'est heurtée en dix jours d'audiences à l'amnésie collective de la part de prévenus parfois en détention déjà depuis un an et demi, et qui ont nié toute implication dans le naufrage.
La procureure a assumé des réquisitions d'une "extrême fermeté" envers les deux Kurdes irakiens, moteurs du réseau aux méthodes musclées, selon les enquêteurs.
Elle a demandé 12 ans de prison ferme pour Tariq H. et 15 ans pour Idriss K., qui "n'a jamais fait autre chose que cette activité de passeur depuis qu'il est arrivé en Europe" et se livrait à une guerre de territoire sur le littoral français avec des passeurs "concurrents".
- "Appât du gain" -
A l'encontre des prévenus afghans, le ministère public a requis 3 et 4 ans de prison concernant deux hommes pour lesquels il n'a pas retenu la qualification d'homicides involontaires. Il a demandé 8 ans d'emprisonnement pour trois autres et 9 ans pour un dernier, toujours sous mandat d'arrêt.
Seul le sort du rescapé soudanais doit "être distingué de celui des autres prévenus", a estimé le ministère public.
Lors du procès, Ibrahim A. 31 ans, a été le seul à s'ouvrir sur son parcours chaotique.
La procureure ne l'a pas cru, lorsqu'il a nié avoir tenu la barre de l'embarcation qui a fait naufrage, et a demandé pour lui deux ans prison avec sursis pour homicides involontaires, qui sont déjà couverts par sa détention depuis le 16 août 2023.
Mais elle lui a surtout reconnu "un statut de victime, au regard de son parcours de vie depuis sa naissance dans un pays en guerre perpétuelle", jusqu'à la plage de Calais.
"Il est temps que vous sortiez de détention", a-t-elle lancé en direction du box vitré derrière lequel il était assis, la tête entre ses mains, aux côtés des autres prévenus.
"La vie vous a conduit à être un exilé, à débuter une migration sans fin, dans des conditions d'insécurité extrêmes, dont le sort s'est trouvé entre les mains de passeurs sans scrupules, animés uniquement par l'appât du gain", a souligné le ministère public.
Il est aussi le seul, dans le box, contre lequel une interdiction définitive du territoire français n'a pas été demandée.
Délibéré le 18 novembre.
Par Shahzad ABDUL / Paris (AFP) / © 2025 AFP