Martin Blachier est auteur du livre Les 12 travaux d'Hippocrate (Éditions du Cerf). Il y analyse, entre autres choses, les raisons pour lesquelles l'hôpital public est dans un état aussi pitoyable.
Martin Blachier : "Le Covid aurait pu nous coûter beaucoup moins cher"
Périco Légasse : Aujourd'hui, quelle est la conclusion sur le Covid ? Y a-t-il des choses qu'on a faites trop tôt ? Les mesures de confinement ont-elles été un petit peu trop abusives ? Aurait-on pu s'en passer ?
Martin Blachier : Je pense que le Covid nous a coûté extrêmement cher, et qu'il aurait pu nous coûter beaucoup moins cher. Je pense que beaucoup de problèmes qu'on a aujourd'hui sont liés à des décisions pas forcément extrêmement bien calibrées au moment du Covid. Encore une fois, c'est toujours difficile de dire les choses après la bataille. Je pense qu'ils ont fait comme ils ont pu. Mais ça aurait pu nous coûter beaucoup moins cher.
"Les hôpitaux dans les territoires, ça représente de l'emploi, de l'activité économique"
Périco Légasse : Le premier sujet que vous abordez dans votre livre, c'est l'hôpital. Vous le présentez comme un sanctuaire, un lieu sacré. Vous dites que l'hôpital ne peut plus être tout pour tous. Aujourd'hui, on va à l'hôpital dès qu'on a un problème de santé, on pense que l'hôpital est un temple. Vous expliquez qu'il n'est plus possible de continuer comme ça, sinon la machine va se casser.
Martin Blachier : L'hôpital, c'est 50% de la dépense de santé qui est totalement incontrôlable. L'hôpital engloutit une grande partie des ressources de santé. Je ne suis pas persuadé qu'il soit l'avenir du système de santé. Je pense que l'avenir, c'est moins prendre les gens à l'hôpital et plus à leur domicile. Mais ça reste un temple qui est maintenu coûte que coûte, pas forcément pour de bonnes raisons.
La première raison est que c'est des employeurs. Les élus locaux font tout pour maintenir les hôpitaux dans les territoires parce que ça représente de l'emploi, de l'activité économique. Il y a beaucoup de villes pour lesquelles c'est le premier pôle économique. Et la deuxième chose, c'est que je pense qu'il a une image qui est tout à fait bonne. Mais il ne répond pas forcément aux besoins de santé, il est plus une espèce de totem qu'on veut préserver à tout prix, pas forcément pour les bonnes raisons.
"Les gens qui dirigent les hôpitaux, c'est absolument pas des super experts"
Périco Légasse : Dans votre portrait de l'hôpital, vous utilisez une expression "l'hospitalocentrisme". Vous dites aussi : "c'est une citadelle où le soin obéit à la hiérarchie". Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?
Martin Blachier : Je pense que l'hôpital est resté figé, il est 30-40 ans en arrière. On a estimé que c'est la santé, que l'hôpital devait être imperméable à toutes les choses qui ont imprégné la société depuis 30 ou 40 ans. Notamment la transparence, notamment la hiérarchie, notamment le type d'expertise qu'on met pour diriger ces organisations… Les gens qui dirigent les hôpitaux, les gens qui ont le pouvoir dans les hôpitaux, c'est absolument pas des super experts. Je fais des parallèles avec des boîtes de la tech. Si on mettait des grandes entreprises avec l'organisation telle qu'elle est faite à l'hôpital, ces grandes entreprises péricliteraient au bout de quelque temps. Et effectivement, les hôpitaux périclitent, simplement parce qu'ils n'ont pas évolué. L'hôpital, c'est un monde qui est resté figé. Il est temps de le moderniser vraiment.
"À un moment, il faut choisir ce qu'on fait, et on ne peut pas tout faire"
Périco Légasse : Dans votre livre, vous dites que 55% des entrées à l'hôpital le sont en urgence. Et vous posez la question : "combien sont-elles réellement en urgence ?"
Martin Blachier : Je cite un chiffre qui est très intéressant : il y a 20 ans, les urgences constituaient 20 à 30% du recrutement de l'hôpital. Aujourd'hui, c'est 50%. Cela veut dire quoi? Ça veut dire que l'hôpital, notamment l'hôpital public, est devenu le dernier recours à des gens qui n'ont plus de solution. Les personnes âgées isolées, les gens qui sont en grande difficulté, les parents dont le gamin à 38,5 de fièvre. C'est devenu une espèce de parapluie social. Il faut bien un parapluie pour notre société. Mais est-ce qu'il faut que ce soit l'hôpital ? Je pense qu'il faut clarifier la mission de l'hôpital public. Est-ce le parapluie social qui est à l'aval du système, qui récupère tout ce que le système n'a pas su capter auparavant ? Ou est-ce un lieu de haute technicité où on fait du très bon soin ? Je pense que ça ne peut pas être les deux. À un moment, il faut choisir ce qu'on fait, et on ne peut pas tout faire.
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