Les possibles blocages d'agriculteurs inquiètent : "30 % du chiffre d’affaires des commerçants, c’est maintenant." Au micro de Sud Radio, Alain di Crescenzo a répondu aux questions de Jean-François Achilli.
Jean-François Achilli : Nous allons évoquer avec vous la santé du petit commerce à l’approche de ces fêtes de Noël. Mais tout d’abord, que dites-vous du climat de cette fin d’année ? Est-ce que vous comprenez, tiens, la mobilisation de nos éleveurs ?
Alain di Crescenzo : "Oui, je la comprends bien. Je la comprends d’autant mieux que je suis de Toulouse. Donc ce qui se passe autour de l’autoroute, c’est chez moi. Et je les comprends parce que je les vois souffrir. Et puis c’est un paradoxe. On n’a jamais eu autant besoin de nos agriculteurs et de nos produits, et aujourd’hui, on s’aperçoit que quelque part, on les met en difficulté. Il faut trouver une réponse aux agriculteurs. Moi, je vois de la souffrance, bien sûr. Vous avez parlé du Mercosur, mais aussi ces abattages d’animaux, et j’avoue que ça se fait dans des conditions difficiles. On oublie toujours de traiter l’humain. Il faut absolument qu’on traite le fond et la forme."
"Il ne faut pas repartir sur ce qu’on a vécu avec les Gilets jaunes. On a vécu une crise terrible. Ça a bloqué nos centres-villes, nos centres-bourgs. Et là, si vous voulez, si on bloque le commerce, c’est terrible"
Jean-François Achilli : Même si ça pèse sur, vous savez, le climat de cette fin d’année, l’humeur des Français, le petit commerce, les achats.
Alain di Crescenzo : "30 % du chiffre d’affaires des commerçants, c’est maintenant. On a une grande partie à jouer sur l’activité de nos commerçants, notamment de nos commerces indépendants, du petit commerce, de celui qui fait vivre les territoires, de celui qui fait l’attractivité. Et donc cette période, elle est cruciale. Et je vous avoue qu'on a des inquiétudes."
"Il faut se dire bon, premièrement, l’activité économique, elle est complexe. Parce qu’il y a des difficultés de pouvoir d’achat, vous le savez. Il y a des difficultés de visibilité. C’est la crise, un petit peu institutionnelle, que l’on vit dans ce pays."
"Et puis vous avez des e-commerces qui nous percutent, vous avez des Black Friday. Et là, de grandes inquiétudes. Parce que vous parlez des agriculteurs, mais si effectivement ça bloque nos villes et nos centres, et on comprend la colère, qui est légitime, ça pourrait détruire l’année de nos commerçants."
Jean-François Achilli : Ah, vous voulez dire que si la mobilisation perdure, c’est une croix à mettre pour les petits commerçants sur les ventes de Noël ?
Alain di Crescenzo : "Il ne faut pas repartir sur ce qu’on a vécu avec les Gilets jaunes. On a vécu une crise terrible. Ça a bloqué nos centres-villes, nos centres-bourgs. Et là, si vous voulez, si on bloque le commerce, c’est terrible."
Jean-François Achilli : Donc là, vous interpellez le gouvernement, en quelque sorte.
Alain di Crescenzo : "Ce que je souhaite, c’est qu’on trouve une solution. Et je crois que globalement, quand j’entends d’une pause, une pause sur les accords du Mercosur, je crois que c’est sage. Parce que, effectivement, il y a de l’intérêt pour certaines activités, pour des activités industrielles, de vente d’automobiles, de spiritueux. On va enlever des droits de douane sur un marché de 270 millions d’habitants. C’est ça, le Mercosur, c’est ça les consommateurs. Mais on ne peut pas faire l’impasse sur notre agriculture. Donc ça veut dire qu’il faut traiter ce sujet-là."
"On a une crise de moral dans ce pays. On est négatifs. Il faut réenchanter la vie"
Jean-François Achilli : De la même façon, Alain di Crescenzo, c’est l’ultime limite pour le bouclage du budget. Ça vous fait rire ? Sébastien Lecornu a demandé au gouvernement, je le cite, de se plier en six pour faciliter les convergences entre députés et sénateurs, dont les approches sont très éloignées. Ce moment est crucial. Qu’attendent les entreprises françaises ? Qu’attendent les commerçants là-dessus ?
Alain di Crescenzo : "Ecoutez, nous, on attend de la visibilité, de la stabilité. Et ça veut dire quoi ? On attend un budget. Bien sûr, on veut un bon budget, mais on veut un budget. Parce que sans budget, il n’y a pas de trajectoire. Et puis, après, on va changer de chapitre, on va tourner une page. Et donc on va se projeter véritablement sur 2026. Et on a besoin de se projeter."
"On parle de crise économique de temps en temps. Moi, je crois qu’on a une crise de moral dans ce pays. On est négatifs. Et ce que je dis souvent, c’est qu’il faut réenchanter la vie. Parce que qu’est-ce qui nous manque ? Il nous manque un à deux points de croissance. On ne va pas chercher dix points. On ne va pas chercher cinquante pour cent de plus."
"Et ça, si vous voulez, je pense qu’on peut l’avoir avec ce qu’on appelle chez moi la gnaque. Ça veut dire l’envie de gagner et la persévérance qu’on peut avoir sur le terrain. Parce qu’on a une visibilité. Parce qu’on a le moral."
"Il y a un truc sur lequel on ne peut pas faire l’impasse : la simplification"
Jean-François Achilli : C’est le message que vous adressez, tiens au hasard, on va dire, à Serge Papin, ancien grand patron, c’est lui qui pilote au ministère les PME, qui pilote l’artisanat, le petit commerce. Vous lui dites quoi, à Serge Papin ? Et à Roland Lescure, le patron de Bercy. Qu’est-ce qu’il faut faire là, techniquement, pour que ça redémarre ?
Alain di Crescenzo : "Là, ils doivent trouver un deal déjà. Je comprends ce que dit le Premier ministre, se plier en six, en huit, je sais pas en combien. Donc il faut déjà qu’on ait un budget. Et puis après, je crois qu’il y a encore des ressources dans ce pays. Il faut reprendre l’initiative. Il faut reprendre l’initiative pour développer le commerce, pour favoriser l’activité, pour simplifier la vie."
"S’il y avait un message que je peux passer ce matin au gouvernement, c’est qu’il y a un truc sur lequel on ne peut pas faire l’impasse : la simplification. Notre pays est compliqué. Et on a évalué le produit de la simplification. Qu’est-ce que ça rapporte à la France ? C’est 60 milliards d’euros."
"Voyez, on se bat pour un ou deux milliards d’euros. Il y a 60 milliards d’euros à l’appui en simplification. Libérons les énergies."
Jean-François Achilli : Vous avez la sensation que le gouvernement ne fait pas ce travail-là en priorité ?
Alain di Crescenzo : "Là, on est mauvais. Je ne compte plus le nombre de réunions que j’ai pu faire sur la simplification. Et là, on est dans les concepts. Le concept n’existe pas. On sait ce qu’il faut faire. Il faut faire de l’exécution. Et donc on a fait des propositions. On a fait une proposition avec le test PME, tout nouveau dispositif. C’est pas compliqué. C’est gratuit. Ça, il faut le faire dès le mois de janvier."
Jean-François Achilli : Et vous dites 60 milliards ?
Alain di Crescenzo : "60 milliards potentiel, là, tout de suite. Parce que quand vous simplifiez la vie des gens, ben vous leur faites gagner en compétitivité. Et la compétitivité, vous le savez, chez nous, ça se traduit un petit peu en impôts et en taxes."
Jean-François Achilli : Alors Alain di Crescenzo, vous êtes le président de CCI France. Vous voyagez beaucoup dans le pays. Quand on passe le périphérique, que l’on va partout en France, qu’est-ce que vous dites ? C’est pas le même climat ? C’est pas le même dynamisme ?
Alain di Crescenzo : "Non, franchement, je pense que là-dessus, la France est parfaitement alignée. Il y a des grands moments, si vous voulez, comme les Jeux olympiques, qui font qu’il y a des décalages de temps en temps. Mais la France est parfaitement alignée."
"Et je crois qu’on a une France homogène aujourd’hui, en tout cas dans le commerce. Et on vit tous les mêmes inquiétudes. Donc si vous voulez, il n’y a pas un écosystème à l’intérieur du périphérique et un autre à l’extérieur du périphérique. On a tous les mêmes problèmes. Et je crois que, au fond, c’est rassurant. Parce qu’on aura tous les mêmes solutions."
Jean-François Achilli : Comment est-ce qu’on relance le commerce qui est en perte de vitesse ? Prenez par exemple cette taxe à 2 euros, qui est une proposition de ce budget dont on ne sait pas s’il sera bouclé. Les sénateurs l’ont rehaussée jusqu’à 5 euros sur les petits colis. Vous êtes pour ? Vous êtes contre ?
Alain di Crescenzo : "Je suis pour. Vous savez, il y a quelque chose que le Français ne comprend pas, c’est les choses sur lesquelles il n’y a pas d’équité. Moi, je ne comprends pas, et je l’ai dit, je crois, sur cette antenne, comment peut-on avoir un commerce qu'on laisse agir, qui vend des armes interdites, des poupées sexuelles, qui fait de la vente à perte et qui vend des textiles qui sont dangereux pour la santé."
"Est-ce que vous imaginez que dans un bourg, un centre-bourg, vous pouvez ouvrir un commerce qui fait ce genre d’activité ? Vous fermez dans le mois. Donc mettez-vous à la place du petit commerce qui regarde ça, qui est empêtré dans sa fiscalité, alors que certains n’en payent pas, qui est obligé d’avoir des pas-de-porte, qui doit lutter contre la vacance commerciale, qui lutte contre les blocages de temps en temps. Quand il voit des choses comme ça, il se dit : qu’est-ce qui se passe ? C’est injuste. Et c’est insupportable."
"Et je sais que Serge Papin, qui était là avec les ministres du Budget, ils sont allés ouvrir des colis. Il y avait une grande partie de produits illégaux. On interdit. On fait respecter la loi française."
"Parlons des agriculteurs. Le principe, je crois, de la clause miroir sur le Mercosur, il faut être sûr de pouvoir l’appliquer. Parce que si nous, on nous interdit des produits pour la croissance des animaux et que vous l’autorisez aux autres, vous avez une véritable distorsion de concurrence, en dehors des problèmes sanitaires. Et je crois que c’est très important aujourd’hui qu’on ait ce grand principe d’équité, et qui se traduit par faire respecter la loi française."
Jean-François Achilli : Et vous dites quoi ? La France et l’Europe doivent se muscler et faire preuve de sévérité à l’égard de tout ce qui rentre ?
Alain di Crescenzo : "Bien sûr. Moi, j’ai rien contre la Chine. Je crois qu’on a bien compris qu’on était dans un monde ouvert, mais avec les mêmes règles. Parce qu’autrement, si vous voulez, nous, nous allons mourir."
Jean-François Achilli : Le commerce français, le commerce des centres-villes, face à Amazon et aux plateformes, c’est une bataille que nous sommes en train de perdre aujourd’hui ?
Alain di Crescenzo : "Je sais pas si on est en train de la perdre. Parce que, vous savez, la grande qualité de nos commerçants et de nos entrepreneurs, ils sont courageux, ils ne lâchent rien. Et donc, on est en train de se muscler."
"Je crois que l’e-commerce ne doit pas remplacer l’attractivité et le commerce de centre-ville. Donc ça veut dire que, nous, de notre côté, on doit améliorer notre capacité d’accueil. C’est ce qu’ils font. C’est travailler la diversité commerciale."
"Mais simplement, il faut se mettre à armes égales. Et c’est ce que je dis : il faut que la fiscalité soit la même. Il faut que les produits soient de même qualité. Il faut que ce qui est interdit pour les uns le soit pour les autres. C’est ce qu’on demande."
"Et après, si vous voulez, le commerce, ça marche au moral. Et donc, il est important, je repars sur mon premier point, qu’on reparte sur un esprit positif. Nous avons besoin du Français positif. C’est ce Français avec son béret, sa baguette de pain, c’est la France. C’est le Français qui sourit. C’est le Français qui a envie de consommer ses produits d’autant plus."
Jean-François Achilli : Vous avez lancé cette opération, nous sommes partenaires à Sud Radio, hashtag j’aime mon commerce. C’est un peu l’idée ?
Alain di Crescenzo : "Mais oui. C’est de rappeler notre commerce. De rappeler la qualité de nos produits. De rappeler l’accueil. De rappeler que le commerce, c’est le lien social. De rappeler que c’est 3,4 millions d’emplois."
"Il y a une grande campagne qu’on pourrait faire, donc avec Serge Papin, par exemple. C’est de démontrer le taux d’utilité"
Jean-François Achilli : Encore faut-il que les prix soient accessibles aux Français, parce qu’il est là, le problème. C’est moins cher en ligne. C’est moins cher quand ça vient d’ailleurs, notamment de Chine. Et le made in France est encore trop cher. C’est ça, le problème.
Alain di Crescenzo : C’est pas toujours vrai. On a démontré, sur des baskets, sur des jeans, sur des trottinettes, que les produits ne sont pas forcément plus chers. Et quand ils sont plus chers, ils durent plus longtemps.
"Et donc là, on a toute une éducation à faire des Français. Il faut savoir ce qu’on veut. Est-ce qu’on veut maintenir l’emploi ? Est-ce qu’on veut maintenir le système social français ? Si c’est oui, il faut consommer français. Il n’y a pas d’autre solution. Et là, vous regardez : si c’est 20 % plus cher et que le taux d’utilisation est de 20 % plus élevé, c’est le même prix."
"Il faut qu’on travaille là-dessus. Il y a une grande campagne qu’on pourrait faire, donc avec Serge Papin, par exemple. C’est de démontrer le taux d’utilité. C’est qu’on change notre compteur. Qu’on passe du prix au prix de l’usage, à l’utilisation et à la qualité. Et là, je vous assure que, peut-être, on ferait changer un peu plus rapidement l’esprit de nos compatriotes."
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