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Le quotidien progressiste traite indirectement le peintre de raciste
"Est-il temps d’arrêter d’exposer Gauguin ?" s’interrogeait mercredi le quotidien progressiste new-yorkais, alors que la National Gallery de Londres propose (le 26 janvier) l’expo Gauguin Portraits. En cause, le goût du peintre pour les très jeunes filles de Tahiti, contrée vers laquelle il part chercher l’inspiration en 1891 et où il y engendre quelques descendants. Le commentaire du NY Times m'inquiète : “À notre époque de sensibilisation accrue aux questions de races, de sexe et de colonialisme, les musées doivent réévaluer son héritage”. La fondatrice de GirlMuseum, un musée en ligne, est plus directe : « C'était un pédophile arrogant, surestimé et condescendant ».
Gauguin étant un recordman en termes d’entrées, les musées se bornent pour l’instant à parsemer les expos d’avertissements tels que celui-ci : « Nul doute que Gauguin a tiré parti de sa position d’Occidental privilégié pour profiter de toutes les libertés sexuelles dont il disposait ».
Il est vrai qu’aujourd’hui, ça ne passerait pas. Et c’est tant mieux. Mais attention à une chose.
En effet. Dans la vraie vie, plus personne n’oserait parler de "sauvages" ni faire l’apologie de l’amour entre adultes et enfants (qu’une certaine gauche défendait encore dans les années 60). C’est très bien. Mais faut-il étendre ces interdits à l’art et censurer Lolita ? La fiction n’est pas là pour nous faire la morale mais pour nous dire la vérité de la comédie humaine et nous montrer nos fantasmes les moins avouables.
De plus les censeurs d’aujourd’hui ne veulent pas seulement normaliser l’art d’aujourd’hui, ils étendent leur inquisition à tout le passé. Toute l’histoire de l’art occidental est coupable. Voltaire était antisémite et islamophobe, Marx n’était pas gentil avec sa femme et nombre de nos grands artistes étaient de sacrés coureurs de jupons (on dirait aujourd’hui "harceleurs"). On ne peut pas juger des comportements d’hier avec nos critères d’aujourd’hui.
Mais c’est très américain. En France, on n’en est pas là me diront certains...
En êtes-vous sûrs ? Cette nouvelle forme de censure ne cesse au contraire de progresser. Certains demandent que l’on expurge les manuels scolaires de tous les auteurs homophobes. Quant à l’art d’aujourd’hui, il doit être moral, comme ses auteurs. Servir une bonne cause. À partir de 2020, Delphine Ernotte, la patronne de France TV, décrète la parité pour les réalisateurs de fiction. Si vous êtes choisie, ce n’est pas pour votre talent mais pour la cause. Bientôt, on nous dira comment on doit représenter les femmes.
Dans le flot de mauvaies nouvelles, en voici une bonne : si quelques groupuscules aussi bruyants que minoritaires ont réussi à empêcher pas mal de cinémas de projeter J’accuse, le film de Polanski est numéro un des entrées. Les Français ne se font pas avoir par cette fausse vertu.