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Parlons des dessins polémiques de Charlie Hebdo sur l'intervention française au Mali
Oui, les militaires sont outrés par les 5 dessins parus sur le site de Charlie Hebdo qui font s’entrechoquer la mort de nos soldats et la campagne de recrutement de l’armée de terre. On voit Macron devant un cercueil recouvert de tricolore. Et cette phrase : « J’ai rejoint les rangs pour sortir du lot ». Une autre détourne dans le même registre le slogan « Je suis tourné vers les autres et vers mon avenir ».
Dans une lettre ouverte à Riss, le CEMAT représenté par le général Thierry Burkhard a fait part de son indignation et de sa peine immense. Qu’avons-nous donc fait, soldats de l’armée de terre, pour mériter un tel mépris ? Selon Le Monde, une famille aurait l’intention de porter plainte. Directement, Riss défend un « esprit satirique, parfois provocateur » tout en saluant « le dévouement de ceux qui se battent pour défendre des valeurs au service de tous.
Au moment où on rend hommage aux soldats, on peut comprendre que ces dessins choquent. Mais...
Oui, comme on pouvait comprendre que les caricatures de Mahomet, en 2006 choquaient et blessaient des musulmans. C’est le programme caché de la laïcité : on accepte que ce qu’on a de plus sacré soit l’objet de critique, et même de caricatures. Pour beaucoup de musulmans, l'image du Prophète est sacrée. Pour l’ensemble des Français, l'avenir sacrifié de jeunes gens ravive la dimension sacrée de la nation. Mais n'oublions pas que cinq dessins parus sur le site d’un journal satirique, laïque et joyeux sont bien peu de choses.
Mais même dans la caricature, il y a un message.
Ces dessins ne se moquent pas de nos soldats mais de l’optimisme communicationnel, du côté glamour et bien léché de la campagne de recrutement où la guerre ressemble à une randonnée en terre inconnue.
Surtout, pourquoi nos soldats sont-ils là-bas ? Pour empêcher que le nord du Mali ne devienne une deuxième Syrie, la base arrière de terroristes qui commettraient de nouveaux massacres. Donc nos soldats sont là-bas pour protéger notre mode de vie libéral. En somme, ils sont au Mali, et probablement pour longtemps, pour que Charlie Hebdo puisse faire des caricatures.
Sur les réseaux, chacun choisit son camp. Je ne veux pas choisir. En 2015, des journalistes de Charlie sont morts pour avoir défendu la liberté d’expression. Aujourd’hui, ce sont des soldats qui meurent pour que nous puissions mener une vie libre. Indéniablement, il y a une fraternité paradoxale qui lie nos héros militaires aux dessinateurs et journalistes tombés ou blessés le 7 janvier 2015 : deux faces de la France. Face au danger, on a souvent vu s’unir ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas.