Fils d'un collaborateur notoire, l'historien Jean-Pierre Azéma, décédé lundi, était un éminent spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, particulièrement de la Résistance, montrant, dans la lignée des travaux de Robert Paxton, la vraie nature du régime de Vichy.
Collaborateur de la revue "L'Histoire", conseiller de France 3 pour la série à succès "Un village français", Jean-Pierre Azéma, connu pour son inséparable écharpe, a aussi été le scénariste de Claude Chabrol sur son documentaire "L'œil de Vichy". Il a été en 2012 président du comité historique de la Mission interministérielle des anniversaires des deux guerres mondiales.
Ce professeur, qui a longtemps enseigné à Sciences Po, avait été cité par les parties civiles au célèbre procès de Maurice Papon, condamné en 1998 à 10 ans de réclusion criminelle pour crime contre l'humanité, pour son rôle dans la déportation de juifs.
Il avait alors affirmé que nul n'était "obligé, à quelque rang qu'il soit, d'aller contre sa conscience" pendant l'Occupation. "Il y a toujours des échappatoires, toujours une manière d'éviter la complicité", avait-il ajouté.
Parmi ses ouvrages, figurent "La Collaboration" (1975), "Vichy" (1997), "1940, l'année noire" (2010), "L’Occupation expliquée à mon petit-fils" (2012) ainsi que des biographies de Jean Cavaillès, héros de la Résistance, et de Jean Moulin (2003).
Il a écrit plusieurs livres en collaboration (avec Michel Winock ou Olivier Wieviorka) et a dirigé des ouvrages collectifs (avec Winock, François Bédarida et d'autres).
Jean-Pierre Azéma est né à Paris le 30 septembre 1937. Jeune agrégé d'histoire, il enseigne dans les lycées Lakanal (Hauts-de-Seine) et Henri IV (Paris) puis à l'Institut d'études politiques de Paris.
Il est le fils du journaliste Jean-Henri Azéma, originaire de l'île de la Réunion : adhérent du Parti populaire français (PPF, fasciste) de Jacques Doriot, il fut la voix de la radio du régime de Vichy, Radio-Paris. A la Libération, il s'enrôla dans la Waffen SS. Condamné à la prison à vie par contumace, il s'exila en Argentine en 1945 et y décéda en 2000.
- Le choc Robert Paxton -
Sans le passé de son père, serait-il devenu "Monsieur Seconde Guerre mondiale" comme le surnommait un de ses éditeurs, Fayard ? "Je n'ai pas choisi la période pour débrouiller mon histoire familiale compliquée mais un certain Sigmund dirait certainement que cela a dû beaucoup compter", indiquait-il à La Croix (2012).
"Historien, j'ai utilisé sa mémoire pour démêler les enjeux des luttes internes de ces militants d'ultra-droite, sans doute minoritaires mais redoutables fauteurs de guerre civile", précisait-il à l'Obs (2009).
Sa trajectoire intime a été d'autant plus complexe que c'est sa mère, première femme de Jean-Henri, qui traduisit pour les éditions du Seuil en 1972 l'important essai de l'Anglais Robert Paxton, "L'histoire de Vichy".
C'est l'historien Michel Winock, alors directeur de collections au Seuil, qui le contacte pour lui demander de jauger ce livre avant sa publication qui provoqua une onde de choc dans la société française. Paxton y démontrait, sur un ton dépassionné, comment le régime de Vichy rechercha la collaboration avec l'occupant, devançant même les demandes nazies.
Ainsi, débutèrent pour Jean-Pierre Azéma des années d'études sur cette histoire française qui le conduiront à approfondir ou nuancer le travail de Paxton, devenu un ami.
Jean-Pierre Azéma "est l’un de nos meilleurs spécialistes de la France sous la Seconde guerre mondiale", a réagi mardi M. Winock, l'un de ses plus proches amis, sollicité par l'AFP. "Il a été un professeur très apprécié de ses étudiants par la clarté de son esprit, son humour, sa gentillesse et la fermeté de ses convictions", a-t-il ajouté.
Homme de gauche, Jean-Pierre Azéma a été par ailleurs signataire en 2005 de la pétition "Liberté pour l'histoire", opposée aux dérives qui ont conduit, à partir des lois mémorielles, à des procédures judiciaires touchant des historiens et des penseurs. Il n'hésitait pas à intervenir dans les médias pour dénoncer toute "instrumentalisation", selon lui, de l'histoire.
Il était père de trois enfants et grand-père de sept petits enfants.
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Par Claude CASTERAN / Paris (AFP) / © 2025 AFP