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Elisabeth Levy: Les ministres uberisés d'Emmanuel Macron vont-ils se mettre en grève?

Chronique

Big brother, c’est lui. Quand le président parlait du nouveau monde et de la start-up nation, on pensait qu’il s’agissait de lyrisme de tréteaux, en somme des éléments de langage de la nouvelle politique – qui pour le reste ressemble furieusement à l’ancienne avec ses intrigues, ses calculs et ses enfumages de com.

On se trompait. Macron en a rêvé et Macron l’a fait. Le président dispose désormais d’une application sur-mesure qui lui permet de fliquer ses ministres – pardon d’évaluer en temps réel la mise en chantier des réformes. À l’origine de cette invention proprement orwellienne, un trio de technos dont le secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler – plus connu du grand public comme l’homme qui s’est fait balader par Benalla…

L’appli étant branchée en temps réel sur la « Direction de la transformation publique », le président de la République peut suivre sur son téléphone, l'état d'avancement des textes dans les tuyaux législatifs ou règlementaires, exactement comme on suit le parcours de son chauffeur Uber.

Après tout, dira-t-on, n’est-il pas bon que l’on puisse évaluer le travail des ministres ? Les ministres ont une responsabilité politique. Ils sont comptables de leur action devant les Français et devant le président, qui peut les congédier sans explication du jour au lendemain. Faut-il en prime les infantiliser par une surveillance permanente et une mise en rivalité digne de l’école primaire ?

Grâce aux confidences distillées à des journalistes de BFM, on apprend par exemple que, « si l'état d'avancement des réformes de Jean-Michel Blanquer semble satisfaisant, il n'en est pas de même pour d'autres ministres ». Auront-ils des heures de colle ? Dans le désert qu’est la macronie, où tout remaniement est un psychodrame, Emmanuel Macron ne peut même pas se permettre de renvoyer les plus médiocres…

Bien entendu, cet outil diabolique est le fruit d’une bonne intention. Le président veut des résultats concrets pour vous et moi. Et il en a marre que ses décisions se perdent dans les limbes de la mauvaise volonté administrative.

Bien sûr, on ne lui reprochera pas de vouloir des résultats. On peut lui reprocher, en revanche, de flatter notre goût douteux pour la surveillance. Certes, d’après BFM, il a refusé, pour l’heure, « de la rendre accessible au grand public, comme on le lui proposait ». N’empêche, l’appli Macron est un petit pas vers le fantasme d’un gouvernement transparent œuvrant sous le regard panoptique d’une inquisition citoyenne.

C’est en outre une curieuse conception de la politique que de la réduire à un calendrier d’objectifs à atteindre. Nous attendons du président qu’il élabore une vision, qu’il fixe un cap, pas qu’il remplisse les objectifs de son plan quinquennal.

On croyait, enfin, être entrés dans l’ère de la bienveillance et de la confiance. Pas pour tout le monde : désormais vos ministres n’auront pas plus d’autonomie que votre conseiller bancaire – qui perd la main sur votre compte si vos êtes en découvert – ou votre chauffeur de VTC – soumis aux caprices tarifaires et géographiques d’une appli toute-puissante.

Le nouveau joujou présidentiel est peut-être high-tech, il n’est que la mise en musique moderne d’un management à l’ancienne reposant sur le contrôle, la peur et l’infantilisation. Emmanuel Macron devrait se méfier : ses ministres ubérisés pourraient bien se mettre en grève. Ou lui intenter un procès pour harcèlement.

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