"Miraculé" après une chute gravissime fin 2024, le skieur français Cyprien Sarrazin ne sait toujours pas s'il reprendra un jour la compétition mais aimerait voir "les choses avancer" en matière de sécurité sur le circuit, quelques semaines après la chute mortelle de l'Italien Matteo Franzoso qui l'a beaucoup affecté.
"On m'avait dit que j'étais miraculé... +C'est un miracle que tu sois là, etc, etc.+ C'est un mot qui sonne bien. Miracle, miracle, miracle... Je le dis tout le temps, mais en fait je n'avais pas compris", a raconté Cyprien Sarrazin, très ému, lors d'un entretien à l'AFP organisé jeudi chez son équipementier à Saint-Jean-de-Moirans (Isère).
Le regard dans le vague et les yeux embués, le double vainqueur de la mythique descente de Kitzbühel en janvier 2024 est revenu sur la chute qui a changé sa vie onze mois plus tard à Bormio, où il a été victime d'une grosse commotion cérébrale lors d'un entraînement officiel sur la piste italienne.
Encore loin de pouvoir envisager un retour à la compétiton, Cyprien Sarrazin va mieux : un temps gêné aux yeux, il ne garde plus aucune séquelle neurologique et a pu reprendre une vie normale qui lui permet d'envisager, à terme, un potentiel retour sur le circuit.
Seuls les genoux, qui l'ont déjà handicapé par le passé, restent un point critique. "Mais c'est très connecté à mon bien-être mental. Quand j'ai trop mal, je pars quasiment en dépression, et à l'inverse quand je suis bien dans ma tête, ça va mieux physiquement", a raconté l'athlète du Devoluy.
"Mais là, avec tout ce qu'il s'est passé, ça ne revient pas facilement."
- "Ça remue beaucoup de choses" -
A 30 ans, Sarrazin assure qu'il rêve toujours "de vitesse, de compétition et d'adrénaline" et qu'il n'entend pas "cette petite voix" qui lui intimerait d'arrêter. Mais le Français admet aussi avoir pris une gifle en apprenant le décès mi-septembre au Chili de l'Italien Matteo Fransozo (25 ans), victime d'une commotion cérébrale similaire à celle dont il a lui-même été victime.
"Heureusement, je n'étais pas seul quand c'est arrivé", s'est remémoré le Français. "D'un coup, c'est comme si je ne pouvais plus parler, j'ai été débordé par les émotions. Rien que d'en reparler, j'ai les larmes qui montent et la gorge qui se serre."
"Ça m'a mis devant le fait accompli. J'ai pris conscience que moi, j'ai eu une bonne étoile. C'était exactement la même situation que lui, mais lui ne s'en est pas sorti", a-t-il ajouté.

Cyprien Sarrazin lors d'une séance photo le 27 mars 2024 à Paris. Le décès accidentel du skieur italien Matteo Franzoso, dit-il, "m'a vraiment impacté plus que ce que je pensais, ça remue beaucoup de choses en moi"
JOEL SAGET - AFP/Archives
Sa mort, poursuit-il, "m'a vraiment impacté plus que ce que je pensais, ça remue beaucoup de choses en moi". "Il y a eu de la colère aussi. Je dis que je n'ai pas de séquelles post-traumatiques, mais ça montre bien qu'il y a quand même quelque chose qui bloque."
Le décès de Matteo Franzoso a relancé le sujet déjà brûlant de la sécurité sur le circuit, de nombreux athlètes appelant la Fédération internationale (FIS) à prendre des mesures pour prévenir les accidents graves, fréquents dans un sport qui va toujours plus vite.
- "Pas envie d'être le prochain" -
"On est de la chair à canon", lâche Cyprien Sarrazin. "Et on n'a pas envie d'être le prochain qui fera avancer les choses. On aimerait que ça avance avant qu'on soit les prochains."
La FIS a assuré vouloir "intensifier le dialogue" sur la sécurité tandis que la Fédération italienne a proposé de limiter le nombre de pistes d'entraînement dans le monde afin que les pistes choisies soient sécurisées par la FIS.
De son côté, Sarrazin sait que les solutions ne sont pas toutes évidentes, mais regrette l'absence "d'échanges" et de "remises en question".
"Si déjà ils étaient venus me demander: +Comment ça va? Qu'est-ce que tu penses de ta chute? Comment tu l'as vécu?+... Ce serait peut être pas mal de venir demander aux mecs qui ont vécu ces problèmes comment ils voient les choses. Mais ça n'a pas été le cas, pas directement en tout cas", a-t-il regretté.
"Je ne blâme personne", a-t-il ajouté. "Nous aussi les athlètes, on a longtemps laissé traîner. Mais il y a mieux à faire. On parle de vies humaines et il n'y a plus de procrastination à avoir."
Par Valentine GRAVELEAU / Saint-Jean-de-Moirans (France) (AFP) / © 2025 AFP