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L’Inquisition et les sorcières ont disparu, mais les bûchers n’ont jamais été aussi nombreux

En cette période où la multiplicité et la rapidité des informations troublent notre analyse, les jugements et condamnations morales sont aujourd’hui légion.
 

Je ne sais pas si "hystérie" est le bon moment pour décrire cette espèce de nervosité maladive, cette soudaine montée aux extrêmes des comportements, cette perte de toute retenue, cette excitation quasi-névrotique qui trouve toujours matière à se relancer dans le flot ininterrompu des informations qui nous submergent du matin au soir. N’étant ni psychanalyste ni psychiatre, je n’emploierais ce mot que dans le sens qu’on lui donne dans la conversation courante et qui renvoie à certains des symptômes cliniques de cette maladie que sont les convulsions, crises de nerfs ou de tétanie, symptômes parfois semblables à ceux de l’épilepsie avec laquelle on la confondait dans l’Antiquité.

L’Inquisition y voyait l’œuvre du diable et la guérissait par le bûcher des sorcières. Les sorcières ont disparu, l’Inquisition en tant qu’institution aussi, mais les bûchers sont toujours là. Certes, ce sont des bûchers au sens figuré, mais la moindre flammèche les enflamme et à défaut de brûler vif et de tuer dans d’atroces douleurs, ils détruisent des réputations et des vies et tuent socialement. Les sorcières ont disparu, mais les procès en sorcellerie n’ont jamais été aussi nombreux. L’Inquisition n’est plus dans les prétoires de l’Église, elle est dans les têtes. Et le propre des procès en sorcellerie, c’est qu’il est joué d’avance. L’Inquisition de jadis sauvait les apparences en faisant semblant d’instruire l’affaire. Aujourd’hui, c’est plus expéditif : on exécute d’abord, on juge éventuellement après. À la moindre plainte, la foule, soudain hystérique, lynche le mis en cause. On n’attend pas la condamnation, ni même la mise en examen, ni même l’enquête préliminaire. On exécute tout de suite.

Libérer la parole, c’est salutaire. Naturellement, lorsque le refoulé est trop ancien, le retour du refoulé est violent et tout ressort d’un coup. Ce n’est pas une raison pour faire de la délation une valeur en soi. Mettre le juge et le droit partout est une folie, mais jeter par-dessus bord l’État de droit parce qu’il donne des droits à l’accusé est une folie plus grande encore. À qui le tour demain ? Ceux qui font l’opinion, qui attisent et enflamment ces mauvaises passions, devraient relire Le Procès de Kafka et réfléchir à la première phrase : "On avait sûrement calomnié Joseph K. car sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin". Et se dire : "Et si demain, je m’appelais K ?". De la littérature ? Sans doute, sauf que l’Histoire, la vraie, celle qui s’est réellement passée, est pire. L’expérience totalitaire ne nous a-t-elle donc rien appris pour que nous jouions encore avec le feu avec autant d’inconscience ? Quelqu’un a dit : "L’hystérique cherche un maître". Il ne tardera pas à le trouver si la foule continue comme cela.

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