Huit ans après les faits, la cour d'assises du Doubs se penche mardi sur les empoisonnements de deux patients qui ont déclenché l'enquête préliminaire ayant conduit à la mise en examen de l'ex-anesthésiste Frédéric Péchier.
Le directeur d'enquête, Olivier Verguet, a commencé à relater mardi matin le déroulé de cette investigation "complexe" qui a démarré avec l'arrêt cardiaque d'une patiente jeune et en bonne santé "dont personne ne comprenait les raisons".
"Je n'imaginais pas l'ampleur de la tâche qui allait être la nôtre lors des longues années suivantes", a-t-il déclaré à la cour.
Le 11 janvier 2017, Sandra Simard, 36 ans, fait un arrêt cardiaque lors d'une opération du dos. Le Dr Péchier vient aider ses collègues à la réanimer, et préconise de lui administrer du gluconate de calcium, une solution inhabituelle dans de telles circonstances.
Ne comprenant pas pourquoi sa patiente a été victime d'un tel incident, la médecin qui l'avait anesthésiée fait saisir, à des fins d'analyse, les poches de soluté utilisées lors de l'opération. Certaines sont même récupérées dans les poubelles.
Dans une poche de réhydratation est découverte une concentration de potassium 100 fois supérieure à celle attendue.
La direction de la clinique Saint-Vincent alerte alors le parquet de Besançon.
Le 20 janvier, alors que des enquêteurs de la police judiciaire se trouvent dans l'établissement, Jean-Claude Gandon, 70 ans, fait à son tour un arrêt cardiaque au cours d'une opération dont l'anesthésie était cette fois confiée au Dr Péchier. Les investigations révèlent une intoxication à la mépivacaïne, un anesthésique local.
C'est la première et seule fois qu'un patient du Dr Péchier est victime d'un arrêt cardiaque suspect. Il survit.
L'anesthésiste, qui avait signalé la présence de poches de paracétamol étrangement percées dans la salle d'opération, s'estime victime d'un acte malveillant. "Ça y est, je m'en suis pris un !" dit-il à un collègue.
- Malveillance ou alibi ? -
Mais les enquêteurs le soupçonnent au contraire d'avoir sciemment empoisonné son propre patient afin de se forger un alibi.
Ces deux "événements indésirables graves" (EIG) seront les premiers évoqués lors du procès de Frédéric Péchier qui s'est ouvert lundi à Besançon.
"On commence par le cas Simard, qui est le cas à l'origine de l'affaire Péchier (...) qui s'apparente véritablement à un empoisonnement, même s'il y a des difficultés au niveau toxicologique. Et puis le cas Gandon, qui est avec certitude absolue, là, par contre, un empoisonnement", a déclaré avant l'audience Me Randall Schwerdorffer, l'un des avocats de M. Péchier, qui a "énormément de questions" à poser au directeur d'enquête.
"On attend ses arguments avant tout", a déclaré lundi à la presse Sandra Simard, à propos de Frédéric Péchier. Elle a survécu à l'opération et copréside aujourd'hui l'association des victimes.
Au total, l'ex-anesthésiste est accusé d'avoir provoqué un arrêt cardiaque chez 30 patients, âgés de quatre à 89 ans, dont 12 sont morts, en polluant volontairement des poches de solutés ou de paracétamol.
Selon l'accusation, il aurait agi ainsi pour nuire à des collègues avec lesquels il était en conflit et démontrer ensuite ses qualités de réanimateur.
- "Jamais empoisonné" personne -

Croquis d'audience montrant l'ex-anesthésiste Frédéric Péchier à son procès à la cour d'assises de Besançon, le 8 septembre 2025
Benoit PEYRUCQ - AFP
Devant la cour, Frédéric Péchier a réaffirmé lundi ce qu'il dit depuis le début: il n'a "jamais empoisonné" personne.
Après huit ans d'enquête, il comparaît libre mais risque la réclusion criminelle à perpétuité.
Jadis décrit comme la star des anesthésistes de Besançon, ce père de trois enfants a tout perdu. Il a divorcé, ne travaille plus et vit désormais du RSA.
"C'est quelqu'un qui est acculé depuis huit ans sans que réellement il lui ait été donné la parole pour s'exprimer", a déploré lundi Me Lee Takhedmit, un de ses avocats.
"Ce n'est pas à Frédéric Péchier de prouver son innocence, c'est à l'accusation de prouver sa culpabilité", a insisté Me Schwerdorffer.
Le procès doit durer jusqu'au 19 décembre. "Si dans trois mois et demi, il m'a convaincu, je serai le premier à demander son acquittement", a confié Me Frédéric Berna, qui défend plusieurs parties civiles. "Mais pour l'instant, pour moi, sa culpabilité ne fait aucun doute."
Par Pauline FROISSART et Angela SCHNAEBELE / Besançon (France) (AFP) / © 2025 AFP