Il y a 50 ans à Aléria (Haute-Corse), l'occupation par des autonomistes de la cave viticole d'un rapatrié d'Algérie suivie d'un assaut des forces de l'ordre dans lequel deux gendarmes sont tués marque la naissance du nationalisme insulaire moderne.
Le 21 août 1975, la cave Henri Depeille, taguée "Colons Escrocs Fora" (colons, escrocs dehors: NDLR) et "Tarra Corsa a i corsi" (La terre corse aux corses: NDLR) est occupée pour dénoncer un scandale financier de chaptalisation -ajout de sucre pour augmenter la teneur en alcool- ayant déprécié les vins corses.
Plus largement, l'Action pour la renaissance de la Corse (ARC), dirigée par le docteur Edmond Simeoni, père de l'actuel homme fort de l'île, Gilles Simeoni, demande "un statut d'autonomie interne au sein de la République" et dénonce ce qu'il présente comme la mainmise de groupes bancaires sur l'île en vue de sa "Baléarisation" (bétonnage et tourisme de masse), les aides financières accordées aux rapatriés d'Algérie et refusées aux agriculteurs insulaires, le refus de l'Etat de lutter contre la fraude électorale et la "négation" de la culture corse.

Edmond Simeoni (g), interviewé par un journaliste devant une cave viticole, pendant une trêve lors d'une prise d'otagesà Aléria, le 22 août 1975 en Haute-Corse
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A l'intérieur, les occupants "étaient extrêmement chaleureux avec les journalistes qu'ils avaient prévenus mais tout a changé quand les forces de l'ordre sont arrivées", se souvient pour l'AFP Philippe Alfonsi, 86 ans, présent dans la cave comme journaliste.
"Des occupants de la cave se font passer pour des otages, ce qui stoppe le premier assaut", relate-t-il.

Des autonomistes corses masqués et armés devant une cave viticole pendant une prise d'otages à Aléria, le 21 août 1975 en Haute-Corse
STF - AFP/Archives
Face à la vingtaine d'hommes armés de fusils de chasse, 1.500 gendarmes mobiles et CRS en tenue de combat et appuyés par des automitrailleuses et des hélicoptères militaires, dans une opération montée par Michel Poniatowski, ministre de l'Intérieur du gouvernement de droite de Jacques Chirac, lui-même en vacances. Le président Valéry Giscard d'Estaing est lui en safari en Afrique.
"On était sidérés, comme d'ailleurs Edmond Simeoni, qui a fait sortir tous les journalistes de la cave juste au moment où les forces de l'ordre arrivaient", se souvient Philippe Alfonsi.

Des forces de l'ordre se mettent à l'abri lors de la prise d'otages dans un vignoble d'Aléria le 22 août 1975
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"Il y avait des tirs de sommation, les automitrailleuses qui avançaient et d'un coup ça a éclaté, une fusillade de quelques minutes et ces deux malheureux gendarmes se sont fait tuer à un mètre de nous par les occupants qui se sont défendus au moment de l'assaut" poursuit l'ancien journaliste, pour qui il s'agissait d'une "opération totalement disproportionnée" et d'un "fiasco phénoménal de Michel Poniatowski".
Un militant nationaliste aura aussi un pied arraché.
Edmond Simeoni se rend. Il est arrêté, transféré à Paris et sera condamné à cinq ans de prison. Mais "les autres occupants de la cave sont sortis, armés, à bord d'un camion et sont partis se réfugier dans la montagne", se rappelle, encore stupéfait, Philippe Alfonsi, se souvenant "des gendarmes mobiles dépités".
Cinq jours après l'occupation, un CRS est également tué à Bastia lors d'une nuit d'émeutes provoquée par la décision du gouvernement de dissoudre l'ARC.
"A Bastia, sur la place Saint-Nicolas, tout d'un coup les fusils sont sortis des fenêtres, ça a tiré sur les forces de l'ordre qui se sont réfugiées dans la préfecture. Elles tiraient sur les réverbères pour que les Corses ne les voient pas", se souvient encore Philippe Alfonsi parlant "d'un état d'esprit qui s'est déréglé d'un coup, déclenché par Aléria, avec une flambée de violence épidermique".
Par Maureen COFFLARD / Ajaccio (AFP) / © 2025 AFP