"Académie" payante pour préparer son entretien de demande d'asile, conseils de pseudo-juristes pour obtenir ou renouveler un titre de séjour: les arnaques visant les étrangers, perdus dans leur démarches administratives pour régulariser leur situation, prospèrent sans être inquiétées.
En plein coeur de l'été, une longue file de personnes originaires d'Algérie, du Cameroun ou du Salvador s'étire devant le bus de la solidarité du barreau de Paris, garé dans le populaire 18e arrondissement. A l'intérieur, quatre avocats y proposent des consultations gratuites.
Ahmad, un Tunisien au français médiocre, espère des informations pour sortir de la clandestinité, tenant dans ses mains caleuses ses fiches de paie, preuves d'années de travail dans le BTP.
Le quinquagénaire, aiguillé par une association, se méfie après une précédente expérience avec "un juriste". Celui qui se présentait comme un "professionnel du droit" lui a soutiré 700 euros sans qu'Ahmad ne sache s'il répondait aux critères pour être régularisé, ce qui ne semble pas être le cas.
"A chaque fois que je venais le voir il me demandait un nouveau papier et me faisait payer 90 euros", explique-t-il à l'AFP. L'ouvrier n'a pas osé protester, de crainte d'être expulsé.
Des situations comme la sienne, l'association Antanak qui aide les personnes en difficulté avec l'informatique, en voit "de plus en plus, avec la complexification des démarches". Qu'il s'agisse d'erreurs dans les dossiers commises par "des avocats peu scrupuleux, débutants et peu au fait du droit des étrangers" ou de la part d'enseignes aux méthodes "malhonnêtes" qui profitent de la "détresse" des migrants, énumère Isabelle Carrère, fondatrice de l'association.
- Mystérieuse carte -
"Les personnes migrantes sont souvent dans une situation d'urgence, paniquées, car elles n'ont pas de réponse de la préfecture sur leur dossier ou ont reçu une OQTF (Obligation de quitter le territoire français)", relève Sandra Morin, secrétaire générale de la CGT de Bobigny, en première ligne pour défendre la régularisation des travailleurs sans-papiers.
La dématérialisation de la procédure, accompagnée d'une explosion des recours depuis cinq ans plusieurs fois épinglée par le Défenseur des droits, et le resserrement des critères de régularisation créent un terreau fertile pour "les arnaqueurs sans scrupules", dénoncent les deux femmes.
Apparues il y a un an dans le métro, sur des panneaux municipaux ou les réseaux sociaux, les publicités d'une enseigne proposant d'accompagner les sans-papiers dans leurs "démarches françaises", n'ont ainsi pas tardé à provoquer de nouvelles victimes.
"Effectuer une démarche simplifiée pour obtenir un rendez-vous en préfecture est gratuit, pourtant avec cet organisme cela coûte plusieurs centaines d'euros", déplore Mme Morin, qui a reçu à la CGT un homme délesté de 2.000 euros.
Balance de la justice accolé au nom de l'organisme, code couleur bleu-blanc-rouge, photos "d'experts spécialistes" promettant un accompagnement de A à Z dans des délais rapides: "tout est fait pour les rassurer", constate la syndicaliste.
Sur TikTok, une autre organisation comptant plus de 23.000 followers propose les conseils du "coach Hervé K". L'homme, aux allures de gourou, promet notamment la délivrance d'une mystérieuse carte permettant aux personnes en situation irrégulière de "circuler librement sans crainte d'être expulsées".
- "Forme de fatalité" -
A ceux qui contactent cet organisme par téléphone, il est immédiatement proposé de souscrire un abonnement pour "une aide à la démarche", facturé 365 euros. Pour inciter à payer sans attendre, il est précisé que ce tarif passera à 495 euros le lendemain.
Si la situation du demandeur ne remplit pas les critères pour être régularisé par le travail, l'interlocuteur incite malgré tout à prendre l'abonnement, afin de constituer un dossier de demande d'asile, a constaté l'AFP.
Dans un groupe WhatsApp rassemblant les personnes intéressées par ces services, sont proposées aussi des formations pour devenir nounou ou aide à domicile, "même sans titre de séjour", pour 800 à 1.200 euros. Pour 1.299 euros, on peut rejoindre une "asile Academy". La somme comprend l'"écriture et la correction d'histoire", ce récit de vie sur lequel les agents de l'Ofpra, rodés à débusquer les fausses déclarations, fondent leur décisions d'octroyer le statut de réfugié.
Dans le groupe de discussion comptant 600 membres, les attestations de virements bancaires se multiplient et les rares interrogations sur les tarifs évacuées sans ménagement: "Prenez-ce qui vous convient (...) évitez de saturer le groupe."
"Souvent honteuses" de s'être fait berner, les victimes de ces "arnaques", "qui se sont déjà fait avoir dans leur parcours migratoire, réagissent avec une forme de fatalité comme si elles le méritaient", se désole Mme Morin, pointant "leur extrême vulnérabilité".
Par Estelle EMONET / Paris (AFP) / © 2025 AFP