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Être parent en prison, la peur de l'oubli

"Papa, je croyais que tu étais mort", a soufflé la fillette de 7 ans en revoyant son père lors de leur premier parloir, un an après le début de son incarcération. Comme près d'un détenu sur deux en France, Yacine a vu ses enfants grandir loin de lui.

Nicolas TUCAT - AFP/Archives

"Papa, je croyais que tu étais mort", a soufflé la fillette de 7 ans en revoyant son père lors de leur premier parloir, un an après le début de son incarcération. Comme près d'un détenu sur deux en France, Yacine a vu ses enfants grandir loin de lui.

"J'ai préféré mentir, dire que j'étais en voyage, mais je me suis rendu compte que ce n'était pas la bonne solution. Ma fille commençait à faire de l'eczéma, du stress, puis elle ne travaillait plus à l'école", raconte cet homme de 56 ans, incarcéré en 2006 pour trois ans.

Selon l'Observatoire international des prisons (OIP), citant des chiffres du ministère de la Justice, en France 44 % des hommes détenus déclaraient avoir au moins un enfant au 1er septembre 2023. Plus de 95.000 enfants avaient un père incarcéré et plus de 3.300 une mère détenue, d'après l'OIP.

Pour Pascal Roman, professeur de psychologie clinique et auteur de "Comment être parent en prison", cette situation illustre la "parentalité empêchée", quand la honte et la culpabilité conduisent les détenus à s'éloigner de leur rôle parental.

Une personne détenue est souvent perçue comme ayant "perdu sa légitimité à exercer son rôle de parent, du fait de ses actes transgressifs", relève l'expert, pour qui le risque de rupture du lien est encore accru par l'éloignement, la rareté des visites et le "manque de connaissance de ses droits".

Or "ce n'est pas parce qu'on est privé de liberté qu'on est privé de droits", souligne sa coautrice Marie Douris. Mais il y a des obstacles au maintien de la relation avec les enfants, le "principal" étant l'attitude de l'autre parent, ajoute cette experte en droit de la famille. Pour le détenu, préserver ce lien avec le parent à l'extérieur est crucial pour conserver une relation stable avec ses enfants.

Une cellule pour les nouveaux arrivants au centre de détention de Seysses, en Haute-Garonne, le 7 août 2025

Une cellule pour les nouveaux arrivants au centre de détention de Seysses, en Haute-Garonne, le 7 août 2025

Lionel BONAVENTURE - AFP/Archives

"Je ne mettais jamais de photo de mes enfants sur les murs de la cellule. Les voir mais se rendre compte qu'ils ne sont pas là, c'est trop violent", explique Yacine, qui veut éviter de se remémorer ces "terribles moments" en prison.

A sa sortie en 2015, à l'issue d'une seconde incarcération de cinq ans, Yacine a décidé d'aider à sa manière les ex-détenus. Depuis trois ans, il est formateur à Wake Up Café, une association fondée en 2014 qui accompagne d'anciens détenus et les aide dans leur réinsertion professionnelle.

- "Comme un étranger" -

En sortant de prison, renouer le lien avec ses enfants exige du temps. Le parent a changé, l’enfant a grandi, et chacun doit trouver sa nouvelle place. Cette reconstruction nécessite patience, échanges et soutien de la part des familles, des proches ou des associations pour restaurer un lien parfois fragile.

"Il commençait à m'oublier, j'étais comme un étranger pour mon fils", se remémore Christian, 46 ans, qui a lui aussi purgé plusieurs peines de prison. Il "regrette énormément" de n'avoir pas vécu "certains moments", d'avoir "raté les premiers mots, les premiers pas, parce qu'il y a des choses, une fois qu'elles sont passées, il n'y a pas de retour en arrière".

Comme pour Yacine, Christian avait peur que son garçonnet "comprenne que son père (était) en détention".

Entrée d'un parloire de la prison des Baumettes, à Marseille, le 26 juin 2023

Entrée d'un parloire de la prison des Baumettes, à Marseille, le 26 juin 2023

Ludovic MARIN - POOL/AFP/Archives

"C'est pour ça que, via le téléphone, j'essayais de lui montrer mon visage, j'essayais de lui parler", ajoute Christian. "Ca m'a sauvé, parce que les visites au parloir, ce n'était pas suffisant".

Pour Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, ce choix est compréhensible. "C'est désagréable de recevoir ses enfants dans ces conditions, c'est mal aménagé, trop lugubre", fait-elle valoir.

Chez les femmes détenues, la situation est souvent plus difficile. Comme le souligne Mme Simonnot, il y a cette "injustice totale car chez les femmes, il y a très peu de visites", les pères de famille se rendant généralement moins volontiers au parloir que les mères. Ce qui provoque souvent une rupture du lien avec leurs enfants.

La possession - illégale - de téléphones portables est donc une alternative "logique", estime l'ancienne chroniqueuse judiciaire, compte tenu du coût des appels passé depuis les lignes fixes en prison, "11 fois plus chers" qu'à l'extérieur.

Par Nédim TOBBI / Paris (AFP) / © 2025 AFP

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