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Électricité : "EDF fait tourner ses réacteurs moins longtemps, au détriment du consommateur" affirme Anne Lauvergeon

Par Aurélie Giraud

Anne Lauvergeon, ancienne présidente d'Areva, présidente d'ALP et auteure de "Un secret si bien gardé" (Grasset), était “L’invitée politique” sur Sud Radio.

Anne Lauvergeon Électricité
Anne Lauvergeon, interviewée par Jean-Jacques Bourdin sur Sud Radio, le 23 mai 2025, dans “L’invité politique”.

Électricité, gaz, nucléaire, énergie renouvelable : Anne Lauvergeon a répondu aux questions de Jean-Jacques Bourdin.

Électricité : "On pourrait produire plus et payer moins cher"

Quel est le "secret si bien gardé" d'EDF ? interroge Jean-Jacques Bourdin. Anne Lauvergeon répond sans détour : "C’est qu’avec ce qu’on a déjà investi depuis 30 ou 40 ans, on pourrait produire plus d’électricité, et donc payer moins cher". Elle rappelle que "les factures ont augmenté de 120% en dix ans", une hausse largement supérieure à l’inflation. Pourtant, selon elle, "il n’est pas nécessaire d’investir davantage pour inverser la tendance".

Elle plaide pour une meilleure utilisation du parc nucléaire existant. "Nos 57 réacteurs ont été construits pour produire beaucoup plus que ce qu’on leur fait produire aujourd’hui". Ce surcroît d’électricité permettrait à la fois "de réduire les prix pour les Français", "d’exporter plus", et de mener une "transition énergétique intelligente". Pour Anne Lauvergeon, ce potentiel sous-exploité est le cœur du problème : "Ce que j’explique dans ce livre, c’est qu’on a les moyens de faire autrement".

"Les réacteurs nucléaires français ne fonctionnent qu’à 67%"

Anne Lauvergeon cite un indicateur précis : le facteur de charge. "C’est la comparaison entre la production réelle d’un réacteur et sa capacité théorique", explique-t-elle. Cet indicateur, suivi chaque mois par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), permet de mesurer l’efficacité réelle des centrales nucléaires dans le monde. "Les meilleurs taux dépassent 90%, certains atteignent même 95%", note-t-elle. En France, "nous sommes à 67%, ce qui nous place parmi les derniers au classement mondial".

Elle déplore le flou volontairement entretenu. "EDF ne communique jamais ce chiffre. Ils préfèrent parler en volumes bruts, en terawattheures, ce qui ne dit rien de la performance réelle", dénonce Anne Lauvergeon. Pourtant, ajoute-t-elle, "l’objectif annuel fixé par la programmation pluriannuelle de l’énergie est de 360 TWh, ce qui correspond exactement à ces 67 ". Ce sous-rendement, pour elle, représente un gâchis stratégique : "On se prive d’une production peu coûteuse, déjà amortie, au moment même où les prix explosent. Et c’est le consommateur qui en paie les conséquences".

Électricité : "Pour faire du bénéfice, EDF fait tourner ses réacteurs moins longtemps"

Pourquoi alors ne produit-on pas davantage ? Anne Lauvergeon avance trois explications. D’abord, une orientation politique qui freinerait l’exploitation optimale du parc. "L’État a mis EDF sous la tutelle de ministres de l’Environnement qui, souvent, étaient anti-nucléaires" déclare-t-elle. Cette hostilité aurait poussé l’entreprise à limiter sa visibilité et son ambition.

Ensuite, un verrou culturel interne. "EDF a refusé d’adopter des méthodes plus efficaces, simplement parce qu’elles n’avaient pas été inventées chez eux", affirme-t-elle. Enfin, une logique financière pourrait expliquer cette retenue. "EDF a réalisé 12,4 milliards d’euros de bénéfice net en 2024", rappelle Anne Lauvergeon. "Ça veut dire que, pour faire du bénéfice net, EDF fait tourner ses réacteurs moins longtemps qu'ailleurs dans le monde". "Cela fonctionne assez bien, mais au détriment du consommateur, qui paie sa facture plus cher".

"En Europe il n'y a plus qu'un pays anti-nucléaire, l'Autriche"

En Europe, les lignes bougent. "L’Allemagne ne bloque plus l’inclusion du nucléaire dans les énergies décarbonées", se réjouit Anne Lauvergeon. Cette reconnaissance était attendue depuis longtemps. "C’est historique. C’est une victoire pour le bon sens énergétique", affirme-t-elle.

Mais certaines incohérences demeurent. "L’Autriche reste opposée au nucléaire, tout en achetant de l’électricité produite par ses voisins". Une attitude jugée "hypocrite". La France, elle, dispose d’un atout : "90% de notre électricité est déjà décarbonée, grâce au nucléaire et à l’hydroélectricité".

Black-out en Espagne : "Pour le gouvernement espagnol, c’est très compliqué de dire que l’intermittence du renouvelable est peut-être responsable"

Anne Lauvergeon revient sur le récent black-out espagnol. Connaît-on son origine ? "Le gestionnaire du réseau a rapidement pointé deux champs solaires comme cause possible", raconte-t-elle. Mais la ministre espagnole a préféré évoquer une hypothèse cyber, "avant de mettre en place une commission".

Pour elle, ce flou traduit un malaise du gouvernement espagnol. "Il est difficile de reconnaître que les renouvelables, lorsqu’ils sont mal intégrés, peuvent déstabiliser un réseau". Pourtant, le risque est réel. "L’intermittence oblige à démarrer d’autres sources, souvent fossiles, au moindre incident".

"Opposer le nucléaire au renouvelable, c'est stupide !"

Faut-il choisir entre énergies renouvelables et nucléaire ? Anne Lauvergeon balaie cette idée. "C’est stupide d’opposer les deux. Les renouvelables sont intermittents. Ils ont besoin d’un socle stable de production". Pour elle, ce socle doit être "domestique et bas-carbone".

Anne Lauvergeon dénonce une politique de juxtaposition : "On additionne les investissements dans les renouvelables, dans le nucléaire, sans hiérarchie. Tout cela est payé par le consommateur". Les entreprises aussi souffrent. "Le coût de l’énergie devient un frein à l’attractivité économique de la France".

Nucléaire : "En France on a eu le massacre à la tronçonneuse !

Comment la France a-t-elle perdu son avance ? "Areva était leader mondial. Depuis 2011, nous n’avons pas vendu un seul réacteur", constate Anne Lauvergeon. Après Fukushima, l’État n’a pas soutenu sa filière. "Cinq ans sans recapitalisation. Le nucléaire est devenu honteux".

Anne Lauvergeon compare avec les grandes puissances. "Les Russes et les Chinois ont immédiatement protégé leur industrie. Les Américains ont sauvé Westinghouse. Nous, on a laissé pourrir Areva." Résultat : "Nos ingénieurs sont partis. Aujourd’hui, ils travaillent chez les Canadiens et les Américains".

Retrouvez "L’invité politique" chaque jour à 8h30 dans le Grand Matin Sud Radio avec Jean-Jacques Bourdin

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