Coup de mou passager ou début d'un ras-le-bol généralisé ? Sous le microscope depuis des années, Tadej Pogacar émet des signaux d'une grande lassitude que la joie d'avoir remporté un quatrième Tour de France avait du mal à masquer dimanche.
Pendant toute la dernière semaine de la Grande Boucle, le Slovène a dégagé une impression étrange, laissant penser qu'il était soit malade ou très fatigué, soit qu'il s'ennuyait. Agacé parfois, apathique souvent, il a expédié interviews et podiums, sur lequel il lui est arrivé de faire franchement la tête.
Le champion du monde a donné le change dimanche en passant à l'attaque sur les pavés détrempés de Montmartre lors d'une dernière étape exceptionnelle. "De la course à l'état pur, j'ai adoré", a-t-il commenté.
Mais à peine redescendu de son vélo, le champion du monde a adopté à nouveau un ton quasi crépusculaire.
"Plus je grandis, plus l'enfant en moi disparaît et plus la pression devient surréaliste. Je commence à me dire que je ne vais pas faire ça toute ma vie", a-t-il répondu en zone mixte à un journaliste d'ITV lui demandant comment il gérait toute cette attention.
Passant ensuite en conférence de presse, il a été incapable de se projeter sur les prochaines éditions, alors qu'il sera en mesure d'égaler le record de cinq victoires dès 2026. "Pas un objectif", a-t-il dit.
Il a en revanche longuement évoqué les questions de santé mentale et de surmenage qui ont conduit plusieurs coureurs, comme le Néerlandais Tom Dumoulin, à mettre une fin abrupte à leur carrière.
- "Burn out" -

Tadej Pogacar signe des maillots pour le public à l'issue de la 16e étape du Tour de France, le 22 juillet 2025 après l'arrivée au Mont Ventoux
Marco BERTORELLO - AFP
"Je trouve que nous, les cyclistes, nous sommes trop obsédés par l'entraînement, a-t-il dit. Il y a beaucoup de burn out. Je n'en suis pas là, mais ça pourrait m'arriver aussi."
Pogacar a beau n'avoir que 26 ans, il est sur le devant de la scène depuis la Vuelta 2019.
Au cours de ces années, il est devenu une superstar du cyclisme, puis du sport tout court après une saison 2024 sensationnelle qui l'a fait basculer dans une autre dimension et fait exploser les sollicitations.
"Sa vie n'est pas facile. Il descend au petit-déjeuner et il y a vingt personnes qui réclament son attention. Il sort et il y en a trente autres qui attendent, et même chose devant le bus. Il est constamment sous pression. C'est normal que ça lui pèse mentalement", explique le Belge Tim Wellens, coéquipier de Pogacar chez UAE et son voisin à Monaco.
A chaque course, Pogacar est happé de toutes parts, tout le temps, à la sortie de l'hôtel, au départ, en route pour le podium, au retour.
En chemin, il s'arrête pour un selfie ou un autographe mais doit souvent fendre la foule, le regard fixé droit devant lui, pour ne pas y passer sa journée.
- La retraite en 2028 ? -

Tadej Pogacar entouré de journalistes après sa victoire dans le Tour de France, le 27 juillet 2025 à Paris
Anne-Christine POUJOULAT - AFP
Ca lui pèse, estime Stephen Roche, vainqueur du Tour en 1987: "c'est un gentil, il a dû mal à dire non."
Encore plus précoce, Remco Evenepoel dit souvent que le cyclisme est devenu tellement exigeant que "les carrières longues vont disparaître".
Sous contrat jusqu'en 2030 avec UAE, Pogacar dit dans un entretien au journal L'Equipe qu'il "ne pense pas arrêter tout de suite". Mais il ne se voit "pas non plus poursuivre trop longtemps", évoquant les JO de Los Angeles 2028 comme échéance pour réfléchir à sa retraite.
Cela lui laisserait trois ans pour battre le record de victoires sur le Tour de France, la plus grande course du monde qu'il devrait continuer à disputer même si, là-aussi, il lui arrive de distiller le doute.
Andy Schleck, vainqueur du Tour en 2010, est sceptique: "il surfe sur une vague énorme mais cette vague peut se briser. Il y a plein de jeunes qui arrivent et qui roulent avec passion. Le cyclisme change très vite. Je ne crois pas qu'il battra le record."
Pogacar, qui a déclaré dans les Pyrénées qu'il était "au pic" de sa carrière, doit annoncer cette semaine s'il participe à la Vuelta qui démarre le 23 août. Il est très probable que non.
"Pour l'instant je n'ai pas de buts clairs, peut-être les Championnats du monde (en septembre) et le Tour de Lombardie (en octobre). Pour le reste je ne sais pas", a-t-il déclaré dimanche soir, pressé d'en finir.
Par Jacques KLOPP / Paris (AFP) / © 2025 AFP