Une "utopie" qui subsiste 130 ans après: entre ses bancs en bois et sa scène ouverte sur la nature, le Théâtre du Peuple, symbole de la décentralisation culturelle, attire toujours son public dans un village des Vosges, loin des grandes scènes parisiennes.
Dès le 15 juin, journée "portes ouvertes" de l'institution, de nombreux visiteurs se sont pressés sur les bancs en bois du théâtre, dont le fond de scène, qui en fait la renommée, est ouvert sur le vert de la forêt vosgienne.
Pour les enfants de Bussang, "c'était un monde magique, le Théâtre du Peuple", se remémore auprès de l'AFP Céline Parmentier, 50 ans. Dans les années 1980, elle vendait des prospectus sur le parking, et y a été bénévole. Elle tenait à être là pour cet anniversaire, accompagnée de ses enfants.
Partie vivre loin de Bussang, elle a constaté par la suite que "beaucoup de gens connaissent le Théâtre du Peuple, même mieux que les locaux".
Annoncée comme l'année du "jubilé", 2025 est l'occasion, pour Julie Delille, arrivée à la tête du théâtre en octobre 2023, de concrétiser son "désir" de renouer entre le lieu et le village de 1.300 habitants.
- "Utopie vivante" -
Le Théâtre du Peuple est avant tout un symbole de la décentralisation culturelle, créé par Maurice Pottecher (1867-1960) dans son village natal.
Auteur, metteur en scène et acteur, Maurice Pottecher rêve, à la fin du XIXe, de proposer un théâtre "par l'art, pour l'humanité", devise aujourd'hui encore gravée sur les murs de l'institution.

L'intérieur du "Théâtre du peuple" à Bussang, le 29 juillet 2022 dans les Vosges
JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN - AFP/Archives
Cette année, un "feuilleton théâtral" en six pièces d'une heure raconte l'histoire du Théâtre du Peuple.
La création du lieu en 1895 était "un acte politique extrêmement fort" de Camille et Maurice Pottecher, rappelle Alix Fournier-Pittaluga, co-autrice avec Paul Francesconi de ce feuilleton baptisé "Hériter des brumes, la folle histoire du Théâtre du Peuple".
Entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, de nombreuses expériences de théâtre populaire ont émergé un peu partout, et notamment dans les Vosges, mais "Bussang est le seul qui a subsisté" dans le coin, rappelle Mme Fournier-Pittaluga.
Les deux auteurs ont fouillé dans les archives de l'institution pour en raconter le passé et les périodes de doute.
"On annonçait la fin de cette scène hors du commun en 1940, lorsque le lieu était criblé d'obus, mais les gens du coin sont revenus et ont dit: 'On repart'" sourit Julie Delille.
- "Magique" -
La troupe du Théâtre du Peuple se renouvelle tous les ans. Elle est composée de deux tiers d'acteurs amateurs.
Igor Igrok est l'un d'eux: habitant près de Metz, ce Lorrain de 60 ans a encore "un souvenir très vif en 77-78 d'avoir vu Roméo et Juliette ici" lorsqu'il était adolescent.

L'entrée du "Théâtre du peuple" à Bussang, le 29 juillet 2022 dans les Vosges
JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN - AFP/Archives
"C'est un lieu extraordinaire, ne serait-ce que déjà par cette ouverture vers la nature à l'arrière" de la scène, sourit-il. "Je suis allé dans plusieurs salles, je n'ai jamais eu cette émotion (...) c'est quand même un lieu magique".
Le feuilleton théâtral mais aussi d'autres événements comme les journées du matrimoine en septembre doivent rappeler la place qu'ont joué les femmes dans l'histoire du théâtre, sous l'impulsion de Julie Delille, première femme à diriger l'institution classée monument historique depuis 1976.
L'été dernier, 28.000 spectateurs ont rempli les 850 places de ce lieu pas comme les autres, où "l'architecture, l'ambiance, le fait qu'il y ait un avant et un après" les représentations charme beaucoup, comme le souligne Marie, une retraitée vosgienne qui n'a pas donné son patronyme et y vient tous les ans.
Il est aussi question de réfléchir à la société actuelle: un tel projet pourrait-il sortir de terre en 2025?
"Ce nom est magnifique, Théâtre du Peuple. Il porte en lui un projet, une utopie dont on peut considérer qu'elle ne devrait plus être une utopie", estime le metteur en scène Sylvain Maurice. "On ne travaille pas pour une élite."
Par Marine LEDOUX / Bussang (France) (AFP) / © 2025 AFP