"Je vais pouvoir me payer une chambre d'hôtel!", "C'est quoi cette carte? J'en veux une moi aussi!": une nouvelle solution de dons dématérialisés aux sans-abris a été lancée ce week-end à Lille, avant un déploiement ailleurs en France.
Nommé Solly, ce projet associatif conçu par un Lillois de 22 ans se veut une réponse à la problématique de la raréfaction de l'argent liquide dans les portefeuilles, qui empêche souvent les passants de donner aux personnes sans domicile fixe.
"En prenant le temps d'expliquer correctement et en mettant en confiance les gens, je pense que ça a de l'avenir", se réjouit Maxime, tout fier d'avoir récolté un premier don sur sa nouvelle carte.
"On était bloqué, tellement de monde nous demandait si on avait pas un TPE (terminal de paiement électronique, NDLR)", témoigne ce jeune sans-abri.
Sous un grand froid nordique, les premières cartes Solly ont été distribuées samedi à Lille par l'association locale Les Soldats du Sourire, qui organise régulièrement des maraudes.
Sur chaque carte figure un QR code que l'on peut scanner avec son smartphone. Les donateurs doivent remplir un court formulaire avec leurs nom, prénom et adresse, puis leurs coordoonnées bancaires, après avoir choisi le montant de leur don. Pas besoin de télécharger une application: une notification s'affiche directement sur l'écran.
La carte Solly, ici le 21 novembre 2025, une solution de dons dématérialisés aux sans-abris, a été lancée ce week-end à Lille
Sameer Al-DOUMY - AFP
Ces cartes servent ensuite pour des paiements, mais fonctionnent uniquement pour acheter des produits de première nécessité ou des nuitées grâce notamment à un partenariat avec Upcoop, répondant ainsi aux inquiétudes de personnes craignant que leurs dons ne soient utilisés pour de l'alcool, du tabac ou de la drogue.
Les vols sont fréquents dans le monde de la rue, mais "cette carte, si elle est volée, ne sera pas utilisable. Le don pourra vraiment être utilisé à bon escient", puisque le sans contact ne fonctionne pas: l'utilisateur dispose notamment d'un code confidentiel et peut faire opposition, précise Elodie Hague, une bénévole des Soldats du Sourire.
Le système sera étendu à 11 autres villes, dont Bordeaux, Lyon, Nice et Strasbourg, dans les prochaines semaines. Au total 1.000 premières cartes devraient être distribuées par des associations.
- "Désolé, j'ai pas de monnaie" -
"+Désolé, j'ai pas de monnaie.+ Cette phrase, on l'a tous déjà dite, que ce soit une réalité ou une excuse", constate Tim Deguette, qui a fondé Solly après avoir fait des études en communication et en marketing.
Tim Deguette, le fondateur de Solly, une solution de dons dématérialisés aux sans-abris, pose le 21 novembre 2025 à Lille
Sameer Al-DOUMY - AFP
"Au fil des années, je me suis rendu compte que c'était un problème qui s'était généralisé suite au Covid, puisque les tickets-restaurant se sont dématérialisés", ajoute le jeune homme, qui a réussi à concrétiser son idée grâce à une campagne de financement participatif.
Une commission de 9% sur chaque don via Solly permet notamment de financer deux associations de logement partenaires, Toit à Moi et Lazare.
La première phase de distribution et d'expérimentation devrait durer deux mois, avant un premier bilan.
"C'est une super initiative. On a toujours nos téléphones sur nous, alors qu'on n'a plus tellement de monnaie", commente Fleur Choppin, étudiante en droit de 21 ans.
"C'est pas mauvais, seulement notre génération à nous, le téléphone, c'est pas non plus notre tasse de thé (..). Ça, c'est bien pour les jeunes", nuance Elianne, 77 ans.
Une initiative similaire, "La Nouvelle Pièce", devait démarrer en 2024 mais a été suspendue après le retrait d'un partenaire. Ses créateurs espèrent désormais un lancement en 2026, a déclaré à l'AFP le cofondateur de cet autre projet François Jacob.
Le sociologue Julien Damon doute que ces diverses expérimentations aient un fort impact. Même dans d'autres pays développés où la "cashless society" (société sans argent liquide) est plus avancée qu'en France, comme la Suède, les paiements numériques à des inconnus sont rares pour l'heure, note-t-il.
"Une partie des gens qui donnent peuvent être assez insécurisés" par le fait d'effectuer une transaction mobile avec "quelqu'un qu'ils ne connaissent pas", estime M. Damon.
Un homme dort dans un sac de couchage à proximité d'une terrasse de café le 15 octobre 2025 à Paris
JOEL SAGET - AFP/Archives
"Mon constat, c'est que la dématérialisation est évidemment extrêmement problématique pour les gens qui font la manche, et que toutes les solutions spécifiques jusqu'à aujourd'hui n'ont pas fonctionné", résume-t-il.
Il est difficile de connaître précisément le nombre de personnes sans domicile fixe en France: elles seraient environ 350.000, dont 20.000 à la rue, selon la Fondation pour le Logement (ex-Fondation Abbé Pierre).
Par Lisa DEFOSSEZ et Claire-Line NASS / Lille (AFP) / © 2025 AFP