La question de l'antisémitisme était au coeur du procès d'une nourrice jugée mardi à Nanterre pour avoir intoxiqué les parents des enfants d'une famille qu'elle gardait en janvier 2024, le parquet ayant requis trois ans de prison en retenant cette circonstance aggravante.
Le parquet a également demandé une interdiction du territoire français de 10 ans à l'encontre de la prévenue, une Algérienne de 42 ans qui avait reconnu durant sa garde à vue avoir versé des produits de nettoyage dans des bouteilles d'alcool.
Elle affirmait alors vouloir nuire uniquement aux parents des trois enfants, de 2, 5 et 7 ans qu'elle gardait à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) et agir en raison d'un conflit sur sa rémunération.
"L'inspecteur m'a mis la pression au point que j'ai inventé une histoire", assure-t-elle aujourd'hui devant le tribunal correctionnel.
"Votre avocate était présente, je n'imagine pas que, si vous aviez subi une telle pression, elle n'ait pas fait de commentaire", s'est étonné le président.
- "Phrase de haine" -
Il a également noté la précision des propos de la nourrice, qui avait dans ses aveux cité d'elle-même une bouteille de whisky et une bouteille de jus de raisin qui n'avaient pas encore été identifiées.
Un démaquillant et un plat de pâtes étaient également touchés par des produits nettoyants, car il a été cuisiné avec du whisky lui-même affecté, ont supposé les enquêteurs.
Même sa défense s'est attardée sur ses aveux, se focalisant sur des "produits fortement dilués" et évoquant "un acte de représailles puéril, mettre du produit dans du vin pour qu'il soit imbuvable".
Conséquence du silence de la nourrice sur les faits, elle répond peu aux questions sur l'antisémitisme qu'un juge d'instruction a retenu comme circonstance aggravante en ordonnant son procès.
Lors d'une perquisition à son domicile, elle avait affirmé: "parce qu'ils ont de l'argent et le pouvoir, j'aurais jamais dû travailler pour une Juive".
Une phrase qu'elle reconnaît comme une "phrase de haine" et pour laquelle elle a présenté ses excuses aux parents, affirmant ne pas être raciste ou antisémite.
Le parquet avait cependant décidé dans un premier temps de ne pas retenir cette circonstance aggravante, même si le procureur a reconnu dans ses réquisitions un "antisémitisme latent dans ce dossier".
Quand les parents intoxiqués ont été entendus par les policiers, "la raison qui leur vient à l'esprit n'a pas de rapport avec la religion, mais celle que vous avez évoqué en garde à vue", à savoir un conflit sur sa rémunération, a noté le président du tribunal durant l'audience.
- "Tout devient danger" -
Pour l'avocate de la prévenue, Me Solange Marle, "la comparaison constante entre ces deux vies, c'est ce sentiment d'écrasement social qui a entraîné ce geste démesuré. C'est pas de la haine, c'est de la souffrance".
L'un des avocats des parents, Me Sacha Ghozlan, décrit pour sa part la "coloration particulière" de ce qu'il voit comme un "antisémitisme d'intimité, qui rentre dans la maison, dans le foyer, qui s'en prend aux enfants et aux parents".
Plusieurs associations se sont constituées parties civiles: l'Union des étudiants juifs de France (UEJF), SOS Racisme et la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (Licra).
"Il y a besoin de cette circonstance aggravante pour envoyer le message que la République n'est pas aveugle", a expliqué à la barre Yonathan Arfi, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), appelé comme témoin par les parties civiles.
La mère des enfants a assuré que sa fille de neuf ans cachait désormais sa religion en public.
"C'est terrifiant cette histoire, finalement. J'accueille quelqu'un dans mon intimité, et tout devient un danger, une arme", a-t-elle déploré.
La prévenue est aussi poursuivie pour usage d'un document administratif falsifié, à savoir une fausse carte d'identité nationale belge.
La décision sera rendue le 18 décembre.
Par Joseph SOTINEL / Nanterre (AFP) / © 2025 AFP