Le retour des néonicotinoïdes en France serait "un désastre", ont affirmé mardi des apiculteurs, scientifiques et élus, alors que débute à l'Assemblée nationale l'examen en commission d'une proposition de loi qui prévoit d'autoriser à nouveau des pesticides toxiques pour les pollinisateurs.
Ce texte visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, porté par le sénateur LR Laurent Duplomb, prévoit de réintroduire, par dérogation pour certaines filières (noisette, betterave), un pesticide de la famille des néonicotinoïdes, interdits en France depuis 2018, mais autorisés en Europe jusqu'en 2033.
Voté par le Sénat, le texte doit être examiné en séance publique fin mai par l'Assemblée nationale.
"Cette loi prétend défendre la souveraineté alimentaire, mais depuis quand est-il acceptable de détruire une filière, celle des apiculteurs, pour en sauver une autre, celle les noisetiers par exemple ?", s'est interrogé Christian Pons, président de l'Union nationale de l'apiculture française (Unaf), lors d'une conférence de presse dans l'enceinte de l'Assemblée.
Yves Delaunay, apiculteur en Vendée et vice-président de l'Unaf, est venu témoigner des ravages de ces insecticides sur les abeilles et de la détresse des agriculteurs.
"Après l'arrivée des néonicotinoïdes, dans les années 90, de 80 kg de miel par ruche, nous sommes tombés à 5 kg. Une perte incroyable. On n'a jamais été indemnisés. J'ai des collègues qui se sont pendus. Moi, j'ai failli le faire", dit-il.
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"J'exploitais 1.000 ruches en Vendée. Les colonies s'effondraient à la floraison. On passait en quelques jours de 70.000 abeilles à 20.000. Elles étaient désorientées, incapables de revenir à la ruche. On les retrouvait mortes partout, dans les champs, même dans les fleurs de tournesol", explique-t-il. "Il ne faut pas reproduire cela."
A ses côtés, Philippe Grandcolas, chercheur au CNRS, rappelle que "les études scientifiques montrent un déclin de l'ordre de 70 à 90% des populations d'insectes dans les paysages les plus impactés par l'utilisation des pesticides".
Et comme "les trois quarts des plantes doivent être pollinisées pour produire", "on a des pertes de productivité importantes", allant jusqu'à "30% pour le colza", indique-t-il.
Des produits comme l'acétamipride, un néonicotinoïde aux puissants effets neurotoxiques, peuvent perdurer "plusieurs décennies" dans les sols et voient "leur toxicité augmenter de 100 fois au contact de fongicides" présents dans les parcelles agricoles, selon le scientifique.
Selon le CNRS, la production de miel en France a été divisée par deux entre le milieu des années 1990, date d'introduction des néonicotinoïdes, et le milieu des années 2010.
Ce texte "est le moteur législatif dont notre agriculture a besoin pour redémarrer", a au contraire estimé Arnaud Rousseau, le président du premier syndicat agricole FNSEA, dans un message posté mardi sur LinkedIn. La FNSEA en attend notamment, outre l'autorisation de l'acétamipride, "une simplification des procédures pour les éleveurs" et un "meilleur accès à l'eau".
La commission du développement durable a entamé mardi après-midi l'examen de la proposition de loi.
Saisie "au fond" sur deux articles, elle a supprimé l'article 5 du texte. Celui-ci prévoit de déclarer d’intérêt général majeur les projets de prélèvement et de stockage d’eau dans certaines zones, leur permettant de déroger à certaines obligations environnementales, et crée une nouvelle catégorie de zone humide, les zones humides fortement modifiées (ZHFM), pouvant être soumises à des travaux sans compensation environnementale.
Cette suppression était défendue par la rapporteure Sandrine Le Feur (Renaissance), soutenue par la gauche et le MoDem. Le texte sera examiné par la commission des affaires économiques à partir de mardi prochain.
M. Rousseau a dénoncé sur X cette suppression et interpellé le président du groupe MoDem Marc Fesneau, ancien ministre de l'Agriculture: "Marc Fesneau, quelle cohérence ?!", s'est-il insurgé.
AFP / Paris (AFP) / © 2025 AFP