Un "cluedo" au bloc opératoire, et une infirmière hantée par le souvenir d'un drame évité de justesse: la cour d'assises du Doubs s'est penchée mardi sur les mystères d'un arrêt cardiaque dû à un empoisonnement, que l'accusation impute à l'ex-anesthésiste Frédéric Péchier.
Sur les 30 empoisonnements de patients, dont 12 mortels, reprochés à l'ancien médecin de 53 ans, survenu dans deux cliniques privées de Besançon entre 2008 et 2017, celui de Jean-Claude Gandon, en janvier 2017, est le dernier dans l'ordre chronologique.
C'est aussi le premier et unique cas où l'arrêt cardiaque survient alors que c'est le Dr Péchier lui-même qui prend en charge l'anesthésie: pour l'accusé, c'est la preuve qu'il a été visé par un acte malveillant, mais les enquêteurs le soupçonnent au contraire d'avoir sciemment empoisonné son propre patient pour se forger un "alibi" alors qu'une enquête venait d'être ouverte sur un cas suspect antérieur.
Mardi, la cour a disséqué l'enchainement des événements, ce 20 janvier 2017, lorsque M. Gandon, alors âgé de 70 ans, est au bloc pour être opéré d'un cancer de la prostate, par un urologue.
A la barre, Ludivine Gladoux, alors élève infirmière anesthésiste, se souvient que le Dr Péchier lui demande ce jour-là d'administrer des antalgiques au patient. Elle en est étonnée car "c'était très tôt dans l'intervention".
Elle se saisit d'une poche injectable de paracétamol, constate qu'elle est étrangement humide, "ce qui n'est pas habituel", et en installe donc une autre. Le Dr Péchier, à qui elle signale sa découverte, lui "propose de prendre une pause café", ce qu'elle fait, durant une vingtaine de minutes, pendant que lui-même "reste au bloc".
Lorsqu'elle revient, le patient est en train de faire un arrêt cardiaque, se souvient la jeune femme. Pour le réanimer, le Dr Péchier lui prescrit des intralipides, antidote aux anesthésiques locaux. Le patient survit - il assiste aujourd'hui à l'audience.
- "J'ai été piégée" -
L'enquête révèlera que le septuagénaire a été empoisonné à la mépivacaïne, un anesthésique local, injecté dans la poche de paracétamol.
"Quelle a été votre réaction en apprenant que la poche que vous aviez passée avait été polluée?", demande à l'infirmière l'avocate générale Christine de Curraize.
La jeune femme fond en larmes. "Je ne fais pas ce métier pour ça, j'étais étudiante. J'ai été piégée, j'ai cru que j'avais fait une connerie", balbutie-t-elle en sanglots, confiant que cette expérience la hantait encore.
"On sait maintenant que la poche a été polluée après que vous l'avez posée", la réconforte la magistrate.

Le docteur Frédéric Péchier, devant le tribunal à Besançon, le 8 septembre 2025
Benoit PEYRUCQ - AFP
Pour Stéphane Giuranna, avocat d'une partie de la famille du patient, "le cluedo est terminé". "Quand Frédéric Péchier voit que vous avez posé une poche qui n'est pas percée, il vous dit de sortir en pause. Et quand vous revenez..." l'arrêt cardiaque se produit, souligne le conseil, qui avance l'hypothèse que l'anesthésiste a ainsi eu le temps de polluer la poche de paracétamol.
Dans la matinée, une autre témoin, également infirmière, avait raconté à la cour avoir fourni à l'accusé, à sa demande, du potassium. Un élément qui interpelle l'accusation, car ce produit a notamment provoqué l'arrêt cardiaque d'une autre patiente, Sandra Simard, alors âgée de 36 ans.
Questionnée par l'avocat de la défense, Me Randall Schwerdorffer, cette témoin a toutefois reconnu que son bureau, où se trouvait l'armoire à médicaments, n'était pas fermé à clé, et que "tout le monde pouvait y accéder". Alors "pourquoi un médecin qui voudrait voler du potassium viendrait voir une infirmière à visage découvert?", au lieu de subtiliser discrètement le produit, pointe le défenseur. "Ce serait étonnant", concède l'infirmière.
Me Schwerdorffer est désormais le seul avocat de l'ancien médecin. Son confrère Lee Takhedmit s'est retiré du dossier à cause de "divergences de vue sur la conduite de l'audience", a-t-il confié à France Info. Me Schwerdorffer, lui, évoque des "difficultés organisationnelles" et dément tout différend d'ordre stratégique.
Frédéric Péchier, qui clame son innocence et comparaît libre, encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Le verdict est attendu le 19 décembre.
Par Angela SCHNAEBELE / Besançon (France) (AFP) / © 2025 AFP