Réapprendre à vivre à l'air libre, retrouver un travail, renouer avec la vie en communauté, reconquérir autonomie et intimité: la ferme Ker Madeleine, en Loire-Atlantique, accompagne des détenus en fin de peine pour amorcer leur réinsertion.
Sous une serre plantée au coeur des 43 hectares de cette propriété de Saint-Gildas-des-Bois, Frédéric, 43 ans, inspecte les dernières tomates de la saison. Sous placement extérieur depuis début octobre, il a quitté sa cellule en prison pour une chambre dans la longère en pierre de Ker Madeleine. Sa fin de peine est prévue pour 2027.
"Tout a changé. J'étais dans une cellule de quelques mètres carrés et je me retrouve dans un espace vert à ciel ouvert. Avec la clef de ma chambre et des personnes qui m'aident à construire ma vie d'après", raconte Frédéric, polaire grise et lunettes rectangulaires.
Lui qui n'a "plus d'attache, ni famille, ni proches, ni maison", n'aurait pas su où aller "si la porte de la prison s'était ouverte du jour au lendemain".

Frédéric, un détenu en fin de peine, inspecte des tomates dans une serre de la ferme Ker Madeleine, à Saint-Gildas-des-Bois, le 17 octobre 2025 en Loire-Atlantique
Loic VENANCE - AFP
Avec pour objectif d'éviter la sortie sèche, sans accompagnement, la ferme Ker Madeleine emploie comme salariés, pour une durée de quelques mois à deux ans, dix détenus (des hommes uniquement) ayant fait cette demande d'aménagement de peine.
Des professionnels les aident à chercher pour l'après un logement, un travail, à passer le permis de conduire, parfois à reprendre contact avec leur famille.
- Pudeur -
"Évidemment, c'est comme une carte postale: il y a la belle photo et derrière l'histoire qu'on écrit. Il peut y avoir des tensions à réguler, des colères à accompagner. Mais c'est surtout de la joie, de la complicité", explique Anthony Pouliquen, directeur d'Emmaüs Sources d'envol, association gérante de Ker Madeleine.

Laurent, un détenu en fin de peine, s'occupe de chèvres à la ferme Ker Madeleine, à Saint-Gildas-des-Bois, le 17 octobre 2025 en Loire-Atlantique
Loic VENANCE - AFP
Le choix du "support agricole" n'est pas anodin, explique-t-il. "On peut imaginer quand on a vécu enfermé ce que ça représente de travailler à l'air libre."
Arrivés à la ferme, les salariés ne sont plus des détenus mais des résidents. Les nouveaux arrivants mettent parfois un peu de temps à remplacer le mot cellule par chambre.
Les encadrants mettent d'ailleurs un point d'honneur à ne jamais y entrer sans s'être d'abord annoncés.
"Il y a des choses de l'ordre de l'intime qui ont souvent été perdues. Il n'y a plus trop de pudeur quand ils arrivent ici: tout a tellement été exposé au procès. Les cellules partagées empêchent souvent toute intimité", explique Adeline Eveno, chargée de la vie communautaire à Ker Madeleine.

Un détenu en fin de peine prépare un repas dans la cuisine de la ferme Ker Madeleine, à Saint-Gildas-des-Bois, le 17 octobre 2025 en Loire-Atlantique
Loic VENANCE - AFP
L'accent est aussi mis sur l'autonomie, parfois moins évidente pour les détenus ayant purgé les plus longues peines (13 ans jusqu'ici pour Ker Madeleine). Les tâches ménagères sont réparties chaque jour entre les résidents.
Chargé ce matin-là de la préparation du déjeuner, Alban, 40 ans, jogging noir et casquette sur la tête, épluche des carottes aux côtés d'une bénévole, voisine de la ferme, à la retraite.
- Fourche -
Avant l'ouverture en 2022, le projet avait suscité méfiance et réticences de la part de certains riverains, à l'origine de pétitions et de quelques manifestations.

Laurent, un détenu en fin de peine, s'occupe de chèvres à la ferme Ker Madeleine, à Saint-Gildas-des-Bois, le 17 octobre 2025 en Loire-Atlantique
Loic VENANCE - AFP
"Cette opposition est derrière nous aujourd'hui. En trois ans, il n'y a pas eu le moindre incident", souligne Anthony Pouliquen.
Le recours aux aménagements en fin de peine, pensés pour "favoriser un retour progressif à la liberté et préparer l'insertion", a augmenté ces dernières années, jusqu'à représenter en 2024 près de la moitié des sorties de prison après une condamnation pour un délit, selon le ministère de la Justice. La plus grande partie de ces aménagements se font sous bracelet électronique.
Fin 2023, la Cour des comptes appelait dans un rapport à renforcer le déploiement des placements extérieurs et de la semi-liberté "qui permettent un accompagnement du détenu".

Laurent, un détenu en fin de peine, s'occupe de chèvres à la ferme Ker Madeleine, à Saint-Gildas-des-Bois, le 17 octobre 2025 en Loire-Atlantique
Loic VENANCE - AFP
A Ker Madeleine, Laurent, 51 ans, s'occupe des chèvres et de la vente au marché des produits de la ferme. Fourche à la main, en jogging bleu nuit et bottes kaki, il place dans l'enclos quelques bottes de foin.
Lui vient d'achever sa peine et devrait quitter la ferme d'ici la fin de l'année. Le travail d'après" il l'imagine "à l'extérieur, surtout pas entre quatre murs".
Par Laetitia DREVET / Saint-Gildas-des-Bois (France) (AFP) / © 2025 AFP