Dans la perspective d'un mouvement de grève qui promet d'être massif et potentiellement durable, l'exécutif multiplie les réunions pour établir une ligne de défense commune autour de cette réforme emblématique voulue par Emmanuel Macron.
Vendredi déjà, plusieurs ministres ont passé en revue les plans de continuité des services publics en cas de blocage du pays: organisation des transports, accueil dans les écoles et les hôpitaux, télétravail,...
Car c'est bien un jeudi noir qui s'annonce. SNCF, RATP, Air France, contrôleurs aériens, EDF, poids lourds, raffineries, enseignants, étudiants, policiers, avocats, magistrats, éboueurs... la mobilisation contre le projet de fusion des 42 régimes de retraite existants en un système universel par points s'annonce importante, alors que la CGT, FO, la FSU et Solidaires ont appelé à une grève interprofessionnelle.
De quoi faire craindre à l'exécutif une répétition de 1995 lorsque le Premier ministre Alain Juppé, sous la pression de la rue, avait dû reculer sur sa réforme des régimes spéciaux.
"Je pense qu'il y aura une mobilisation forte des organisations syndicales et un risque de blocage à la RATP et à la SNCF", concède le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner avant d'insister toutefois: "n'intériorisez pas le fait que l'on reculera sur les retraites, ce ne sera pas le cas car cette réforme est juste".
"Nous n'échouerons pas, la réforme se fera", abonde le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin dans le JDD, ajoutant qu'"on a du mal à comprendre pourquoi l'Etat verse chaque année 8 milliards d'euros" pour équilibrer les régimes spéciaux "sur nos impôts".
Selon un sondage Ifop pour le JDD, les Français se disent très largement favorables à une réforme du système de retraites (76%), mais sont seulement 36% à faire confiance au gouvernement pour la mener. Le mouvement du 5 décembre obtient le soutien ou la sympathie de 46% des sondés, tandis que 33% y sont opposés ou hostiles et 21% indifférents.
"Nous voulons peser dès le 5 pour que la réforme ne voie pas le jour. La grève elle ne durera que ce que le gouvernement voudra qu'elle dure", a souligné le numéro un de Force ouvrière, Yves Veyrier, sur France Info.
A Matignon dimanche après-midi, il s'agira une nouvelle fois de "travailler à la mobilisation complète de l'Etat pour limiter au maximum l'impact de la grève pour les Français", selon l'entourage d'Edouard Philippe, missionné en première ligne par Emmanuel Macron sur ce dossier explosif.
- Intransigeant mais "sans brutalité" -
Mais l'objet de la réunion est aussi, selon un membre du gouvernement, de cultiver "une réflexion stratégique sur la suite" en se projetant au-delà du 5 décembre.
Le gouvernement craint surtout que la mobilisation s'étende au-delà de quelques catégories et vire à la crise sociale d'ampleur. Il envisage avec une certaine angoisse la journée d'action des "gilets jaunes" prévue le samedi 7 décembre, un an pile après le pic de violence de leur mouvement.
Jeudi, plus de 150 manifestations sont prévues, dont une à Paris dans l'après-midi. "Comme pour toute manifestation, on peut craindre que des casseurs et des gilets jaunes radicalisés s'en mêlent, souligne Christophe Castaner.
Opposé à un front constitué par la CGT, FO et les cadres de la CFE-CGC, le gouvernement redoute que la contestation s'élargisse à la CFDT, dont le soutien à la réforme ne tient plus qu'à un fil, alors que sa fédération de cheminots a elle-même déposé un préavis de grève.
Le haut-commissaire aux retraites Jean-Paul Delevoye va recevoir les syndicats jusqu'à jeudi. Il rendra ses conclusions vers le 9 ou le 10 décembre au Premier ministre qui précisera le projet d'ici la fin de l'année, avant son passage au Parlement début 2020 pour plusieurs mois de débats.
Accusé par l'opposition d'entretenir volontairement le flou sur ses intentions, l'exécutif a envoyé des signaux à la fois d'ouverture et de fermeté. Intransigeant sur l'objectif. Mais ouvert à la discussion et soucieux d'un dialogue "sans brutalité", selon les mots d'Edouard Philippe.
Quitte à lâcher du lest sur des thèmes chers aux syndicats, comme les droits familiaux, la pénibilité ou les "garanties" attendues par les enseignants. Voire à décaler l'entrée en vigueur de la réforme au-delà de 2025. "Il y a plusieurs dates d'entrée possibles de la réforme. C'est une discussion que l'on doit avoir", souligne Gérald Darmanin, tout en ajoutant: "c'est certain" qu'il faudra travailler plus.