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F. Bayrou : "La France ne s'est pas battue" pour son modèle agricole

Par Jérémy Jeantet

Le maire de Pau et président du MoDem était l'invité de Sud Radio et TV Agri ce jeudi, en direct du salon de l'agriculture.

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On vous a récemment entendu vous exprimer sur l'Europe et sur le fait que, selon vous, les Gouvernements successifs ont quelque part lâché les agriculteurs français. Selon vous, la France ne pèse plus suffisamment sur le débat à Bruxelles. Qu'est-ce qu'il faudrait faire, selon vous, pour pallier à ce problème ?Pendant des années, en vérité, on ne s'est pas battu comme il fallait se battre, là où les décisions se prenaient. C'est quelque chose de très attristant parce que la France a été, pendant des décennies, le pilier de la politique agricole commune, avec une vision particulière, qui n'est pas celle des autres, puisque la France pense qu'une partie des marchés agricoles doivent être régulés. C'est une réflexion qui vient de très loin, parce que les marchés industriels et agricoles ne sont pas de même nature. Il y a une partie de la production qui peut être utilisée dans l'industrie, l'agro-industrie, ça existe. Mais il y a une réalité, c'est que vous ne pouvez pas débrancher une vache laitière. Elle mange tous les jours, elle produit du lait tous les jours. Donc vous êtes obligés d'avoir une organisation des marchés qui puissent permettre que ces productions aient comme objectif de produire assez pour nourrir la population, de produire en qualité pour que la population soit en bonne santé, mais aussi de garder suffisamment de producteurs pour que la réalité agricole soit présente au sein de la société française. Ça a été, pendant très longtemps, la ligne directrice de la France. Et à partir des années 1990 et au milieu des années 2000, on a abandonné cette bataille. Il y a une réalité, que j'ai dénoncée cette semaine, c'est qu'au cabinet du commissaire chargé de l'agriculture, il y a 17 conseillers, il n'y a pas un Français.Cette perte d'influence de la France en Europe, vous l'évaluez à partir de quel moment ?Je pense que c'est à partir des années 1990, ce qui veut dire qu'en réalité, la succession des Gouvernements français a été impliquée dans cela, droite et gauche. Au fond, on ne s'est pas battu. Je suis très strict à l'égard des Britanniques, je n'aurais pas du tout été pour négocier avec Cameron comme ça a été fait, mais il y a une chose qui me frappe. C'est que les Britanniques ont, depuis longtemps, une stratégie d'occupation des postes de responsabilité à Bruxelles. Ils forment les meilleurs, ils prennent les meilleurs de leurs hauts fonctionnaires et de leurs diplomates et ils les mettent en situation de responsabilité à Bruxelles. Chez nous, lors de la dernière commission, on s'est battu pour M. Moscovici et on a abandonné tout le reste. Pour moi, depuis des années, au fond, on baisse les bras et on ne défend pas le modèle qu'on devrait défendre, y compris en ouvrant une tension, une épreuve de force avec nos partenaires européens. Ce n'est pas contre l'Europe qu'on perd, c'est à l'intérieur de l'Europe qu'on ne se bat pas.Vous savez qu'il y a un accord qui est en train de se tramer aujourd'hui entre l'Amérique du Nord et l'Europe. Comment peut-on croire dans l'Europe, dans l'esprit européen, dans les fonctionnaires de l'Europe, quand on sait que même les parlementaires disent qu'ils ne sont pas au courant aujourd'hui de ce qui se passe ? C'est la responsabilité de qui ? Nous sommes des citoyens français. C'est la responsabilité du président de la République française de nous dire quelles instructions il donne aux négociateurs. Il ne le dit pas, il n'est pas le seul. Les négociations secrètes sont une trahison de ce que les valeurs démocratiques devraient imposer. La démocratie, ce n'est pas le secret. Je veux bien que, quand il s'agit de la guerre, la négociation pour arriver à l'armistice, mais là, il ne s'agit pas de ça, il s'agit de notre destin. On a, heureusement, une sécurité, c'est que, cet accord, s'il existe, et je suis en désaccord avec un grand nombre des principes qu'on nous annonce, il devra être, après, adopté par la totalité des parlements nationaux. C'est-à-dire que si le Parlement français dit "non", il n'y aura pas de traité. Si le parlement italien dit "non", il n'y aura pas de traité. On a, si j'ose dire, une ceinture de sécurité. On a les deux garanties : garantie européenne et garantie nationale. Mais il est inadmissible, à mes yeux, que les citoyens français et même les parlementaires français ne soient pas informés de ce que le Gouvernement demande à l'intérieur de l'accord. Par exemple, on doit demander des sécurités en matière culturelle, en matière agricole, en matière sanitaire, en matière de production. Tout ça, on n'est même pas informé, je trouve ça scandaleux.Est-ce que vous ne pensez pas que les paysans ont une suspicion maintenant vis-à-vis de l'Europe, avec tout cet obscurantisme autour des négociations du TAFTA ?En même temps, si on voulait limiter les productions agricoles à l'échelon national, on aurait de graves drames. Par exemple, si vous dîtes aux producteurs de céréales "Désormais, vous ne pourrez plus vendre qu'à l'intérieur des frontières de la France", vous les assassinez, c'est comme si vous leur donniez un coup de fusil. Tout ceci n'a pas de sens. L'Europe, c'est nous et c'est en particulier les gouvernants français. La responsabilité d'un président de la République et d'un Premier ministre, c'est de défendre notre vision de l'avenir à l'intérieur de l'Europe, d'être présent à l'intérieur de l'Europe et d'en rendre compte aux citoyens. Je vais prendre un exemple très caricatural. François Hollande n'était pas intervenu depuis 3 ou 4 mois, il avait sans doute d'autres priorités. Il a fait une conférence de presse de 40 minutes avec TF1 et France 2, depuis l'Elysée. Il n'a pas prononcé le mot Europe. Vous trouvez que c'est sérieux ? Ceci est vrai pour d'autres gouvernants français. C'est comme si, pour eux, ça n'existait pas. Je trouve ça impensable et grave. Avant de penser à changer l'Europe, il faut changer l'attitude des gouvernants français à l'intérieur de l'Europe. Qu'ils soient présents, offensifs, qu'ils défendent une ligne et qu'on puisse leur faire confiance parce qu'ils sont les porte-paroles des citoyens français.Il y a un conseil des ministres de l'Agriculture européens dans une quinzaine de jours. Est-ce que vous avez espoir qu'il en sorte quelque chose par rapport à cette crise agricole qui est française, mais aussi européenne ?Je ne sais plus très bien ce qu'il faut espérer. J'espère une chose très simple, par exemple, c'est qu'on puisse avoir la traçabilité de tous les produits agricoles. Que le consommateur français qui en a envie, puisse être certain d'acheter des produits français, y compris en les payant quelques centimes de plus, et qu'on puisse les identifier. Aujourd'hui, un très grand nombre de ces produits ne peuvent pas être identifiés.A l'heure où on parle d'agriculture intensive, notamment en Allemagne ou aux Etats-Unis, à l'heure où on parle de ce fameux traité transatlantique, le TAFTA, est-ce que vous pensez que c'est réalisable ? J'en suis absolument certain. Si vous réfléchissez à la manière dont, tous, nous faisons nos courses, nous sommes tous prêts à mettre 3, 4 ou 5 centimes de plus pour avoir des produits dont nous sommes assurés de la qualité et de la provenance. Tous. Le prix de l'alimentation dans le budget d'un ménage s'est effondré dans les 30 dernières années. Tout le monde est prêt à faire ce petit effort, à condition d'être sûr de ce qu'il achète, qu'on puisse être garanti dans la manière dont nous allons être approvisionné. Je suis absolument sûr que c'est possible. On nous dit "agriculture intensive". Il y a au moins autant de demandes pour une agriculture de qualité, selon les uns c'est bio, selon les autres c'est les AOC, ou IGP. Toutes ces filières, qui reposent sur la même idée, celle que le consommateur a besoin d'avoir confiance dans les produits qu'il achète. Il y a évidemment une partie de la consommation qui veut des prix très bas, mais il y a des gens qui sont tout à fait prêts à imaginer ou à accepter un investissement un peu plus important, à condition qu'on leur garantisse le produit qu'ils achètent.Vous avez dit, ce matin, qu'il était plausible que Manuel Valls démissionne. Sur quoi vous basiez-vous pour dire cela ? J'étais interrogé sur les conséquences de la crise que je décris depuis longtemps à l'intérieur du Gouvernement et de la majorité, où il y a deux lignes inconciliables qui s'affrontent. Ensuite, le Gouvernement a présenté un texte sur la loi travail avant de dire "On va prendre 15 jours, parce que ça se passe très mal, pour négocier avec les organisations syndicales". De tout cela, il ne va rien sortir. Il suffit d'entendre ce qui a été dit, les uns veulent le retrait de ce texte et les autres ne veulent pas le corriger. Donc on est dans une impasse et au bout du compte, je pense que ça va poser une question au Premier ministre qui s'est fait le défenseur d'une ligne à l'intérieur de la gauche, qui est une ligne minoritaire mais très affirmée. Qu'est-ce qui lui reste à faire ? Est-ce qu'il peut vivre les 14 mois qui viennent sans tirer les conséquences d'un échec éventuel ? S'il n'y a pas d'échec, on le comprend, mais je ne vois pas comment ces deux lignes sont conciliables à l'intérieur du Gouvernement et de la majorité. Donc je dis que, oui, il peut y avoir des conséquences et qu'en tout cas, il y aura des interrogations à coup sûr sur le fait de rester dans cette position qui serait une position paralysée.On dit qu'on est au bord de la crise économique sur le plan bancaire. Il y a eu une loi, une transposition d'une directive, qui permet aujourd'hui aux banques de pouvoir réaspirer de l'argent si elles étaient dans une telle difficulté. Est-ce que ce n'est pas absolument outrageant de pouvoir recapitaliser sur les comptes bancaires des particuliers ?Je ne sais pas exactement à quoi vous faîtes allusion mais en France, tous les comptes bancaires sont garantis à hauteur de 100 000 euros par l'Etat. Donc j'espère qu'on n'est pas dans cette situation, j'espère qu'il n'est dans l'esprit de personne de créer une situation qui soit aussi ouvertement injuste. Les banques ont un certain nombre de garanties mais doivent aussi un certain nombre de garanties à leurs clients. C'est même pour ça que nous avons autorisé, et il y a eu beaucoup de débats sur ce sujet, que les banques d'investissement soient des banques de dépôts en même temps. Sur cette question, il faut naturellement de la vigilance à l'égard du risque que vous indiquez, j'espère que ce risque n'est pas imminent ni probable.

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