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Réforme de la SNCF : le statut des cheminots n'est pas le sujet majeur

La vraie question, c'est l'avenir du service public. Pointer les avantages des cheminots sert juste à faire passer la réforme en jouant sur la démagogie et la jalousie.

 

Tous les gouvernements en ont rêvé. On se souvient d’Alain Juppé, en 1995, voulant réformer les cheminots en même temps que la sécurité sociale. Mais il faut être clair sur ce sujet. Le gouvernement, délibérément, est en train de faire du statut des cheminots un point de fixation à propos de cette réforme.

Or, le statut des cheminots, sa modification ou son abandon, en réalité, découle du changement de statut de l’entreprise elle-même. C’est ça le sujet. Depuis que la France a accepté, et personne ne s’est mobilisé à l’époque, l’ouverture à la concurrence, tant de l’électricité que du chemin de fer, les choses sont jouées. Sauf à renier les engagements de la France au niveau européen sur ces sujets, ce qui d’ailleurs mériterait un vrai débat.

Comment la SNCF est-elle devenue un monopole ? D’abord parce qu’elle avait toutes les caractéristiques de ce que les économistes appellent un monopole naturel, c’est-à-dire que la nature même de l’activité économique de l’entreprise la pousse à occuper tout le marché pour être efficace. Dès lors, il valait mieux qu’il soit public que privé, se rendant compte que toutes les entreprises privées étaient en déficit dans les années 1930, le Front populaire a nationalisé la SNCF, et il n’est pas le seul. Dans beaucoup d’autres pays, les choses se sont passées de la même façon, on a regroupé des entreprises qui étaient dispersées, qui étaient privées mais pas vraiment en concurrence parce qu’elles avaient chacune une concession territoriale. La concurrence, dans ce domaine, c’est quelque chose de quasiment impossible. Le seul endroit où on a eu une vraie concurrence sur ce marché était aux USA, où on construisait une voie de chemin de fer sur chaque rive des rivières ou des fleuves pour avoir de la concurrence sur le même territoire. Sinon, on fait de la concession et donc, sur un territoire donné, on n’est pas en concurrence.

En 1936, on réunit tout ça, on fait la SNCF, on met dans le statut des cheminots des tas d’avantages qui étaient déjà, pour l’essentiel, donnés par les entreprises privées et on se retrouve avec cette grande entreprise nationale, dont on ne peut pas dire, malgré tout, que le bilan soit négatif. Le bilan de la SNCF est très positif, quand on le compare à toutes les autres compagnies de chemin de fer depuis la guerre jusqu’à aujourd’hui. On peut se dire que ça n’a pas si mal marché. Ce qui a mal marché ne tient pas au statut ou au monopole. Ce qui a mal marché, c’est le fait qu’on ne consacre pas assez d’argent pour entretenir et moderniser le réseau. On a voulu rationner sur l’entretien. C’est un grand classique. Regardez aux États-Unis, où on se retrouve avec un gigantesque problème d’infrastructures routières et ferroviaires. Au Royaume-Uni, on a choisi de privatiser, mais ça n’a pas que des avantages. C’est d’abord très discutable de dire que le système fonctionne bien.

En Allemagne, on a repris la dette et laissé l’entreprise vivre sa vie.

La question, derrière, c’est veut-on encore du service public ou non ? Pointer les avantages des cheminots sert juste à faire passer la réforme en jouant sur la démagogie et la jalousie. Je ne dis pas qu’il n’y a rien à revoir sur le statut des cheminots. On utilise en fait la même technique que celle de France Télécom, c’est-à-dire que les nouveaux arrivants n’auront plus le statut.

Mais ce n’est pas le sujet majeur. Le sujet, c’est peut-on avoir un service public ferroviaire performant, qui permette à la fois l’aménagement du territoire, l’égalité de tous les citoyens devant le transport, devant la mobilité ? Et, à la fin, qui paie ? Est-ce que c’est l’usager, le contribuable, les entreprises, qui elles-mêmes profitent du chemin de fer ? Voilà la réalité et je trouve que l’argumentation du gouvernement est terrible parce qu’elle fait du statut des cheminots un point de fixation et parce qu’elle développe à l’excès l’idée de la dette alors que c’est l’État qui prend les décisions d’infrastructures.

Et cette idée d’utiliser les ordonnances sans arrêt est étrange dans une démocratie. Sans dire, comme Laurent Wauquiez, qu’on est dans une dictature, ça pose quand même un problème. Les ordonnances ne sont pas faites pour des problèmes politiques, mais pour des problèmes techniques.

Alain Juppé avait déjà tenté cela en 1995, ça ne lui avait pas réussi. En tout cas, ce n’est pas bon pour la démocratie.

Écoutez la chronique d'Henri Guaino dans le Grand Matin Sud Radio, présenté par Patrick Roger et Marlène Duret

 

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