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L’occident serait fou de se mêler de la querelle millénaire entre chiites et sunnites

À l’origine de nombreux bouleversements dans le monde arabo-musulman depuis des siècles, la querelle entre chiites et sunnites déborde aujourd’hui dans les sociétés occidentales.

Un soldat des Unités de protection du peuple kurde photographié dans la ville d'Ain Issi, au nord de Raqqa (©Delil Souleiman - AFP)

C’est une vieille histoire qui remonte à la mort de Mahomet en 632 de l’ère chrétienne, une histoire de succession que se disputent les compagnons du Prophète et la descendance de ce dernier, en l’occurrence la descendance d’Ali, cousin et gendre de Mahomet, époux de Fatima, quatrième successeur du Prophète, quatrième calife en 654, assassiné en 661. Il est à l’origine du grand schisme de l’islam entre les chiites, qui se réclament de lui, et les sunnites, qui prétendent incarner l’orthodoxie. La grande dynastie des Omeyyades sunnites lui succède. Elle écrase militairement les chiites en 680 et tue le fils d’Ali, Hussein, élevé au rang de martyr du chiisme.

Ce schisme dans la communauté des croyants a, comme tous les schismes (voyez le grand schisme des catholiques et des orthodoxes en 1054), produit de grands effets à long terme (politiques, religieux, culturels) enracinés dans des conceptions du monde d’autant plus difficilement conciliables qu’elles sont concurrentes au sein d’une même religion. 

Les chiites et les sunnites prient cinq fois par jour, mais pas de la même façon. Les chiites obéissent à un clergé hiérarchisé et dirigé par des ayatollahs qui fixent la jurisprudence théologique, et au-dessus d’eux, de grands ayatollahs gouvernent ce qui ressemble fort à une Église. Les chiites vénèrent les 12 premiers imams et attendent le retour du dernier successeur du Prophète qui régnera sur le monde et rétablira la justice, disparu au 9ème siècle. Il est l’imam caché, seul légitime à régner sur les croyants. Le monde chiite, hiérarchisé et théologiquement plus unifié, contraste avec le monde sunnite, éparpillé entre ses courants, ses confréries, ses mosquées, ses docteurs de la foi sans autorité les uns sur les autres.

L’islam chiite est plus rigide, mais chez les sunnites on va aussi du soufisme au wahhabisme et au salafisme. Chiisme et sunnisme ont été perçus différemment selon les époques. Au début minoritaire et persécuté, on peut voir le chiisme comme étant assez radical face à la splendeur des Omeyyades. Au début du 16ème siècle, la conversion de la Perse au chiisme le mêle à l’héritage d’une civilisation multi-millénaire qui lui donne une assise intellectuelle prestigieuse. Alors que l’islam sunnite connaît selon l’expression d’un historien de l’islam son Moyen-Âge après sa Renaissance, le chiisme va apparaître pour longtemps comme la partie la plus éclairée de l’islam par rapport au sunnisme corseté par l’empire ottoman et entraîné dans sa décadence.

En 1979, la Révolution Islamique a changé la donne. Le chiisme est alors apparu comme ce qu’il y avait de plus radical et régressif dans l’islam, jusqu’à ce que les talibans, Al-Qaïda, l’État Islamique, Boko Haram ou les Frères musulmans en Égypte changent de nouveau la perception, pointant par la même occasion l’obscurantisme religieux du Qatar ou de l’Arabie Saoudite. 

De l’échec des nationalismes arabes et de la défaite militaire de l’État Islamique, le chiisme sort renforcé. Iran, Irak, Syrie, Liban, Yémen : l’arc chiite, bien que minoritaire dans l’islam, paraît plus puissant au Moyen-Orient par rapport aux sunnites en perte de vitesse. Une confrontation politico-religieuse de grande ampleur semble se préparer dans cette région et pourrait avoir des effets considérables sur l’Afrique et sur l’Europe.

En face du bloc chiisme, le monde sunnite est profondément divisé : tension entre l’Arabie Saoudite et le Qatar, entre l’Égypte et l’Arabie Saoudite, entente franco-iranienne contre-nature, chaos libyen, fragilité de la Jordanie et de la Tunisie face aux intégrismes, incertitude algérienne, vulnérabilité de certains États du Golfe comme le Bahreïn, etc. Au moment où tombent les derniers bastions de l’État Islamique, que se trame-t-il en Arabie Saoudite et au Liban ? 

On sent la tentation en Occident de pencher du côté de l’Iran, à l’exception des États-Unis alignés sur la position israélienne, mais ce serait folie de prendre partie dans cette guerre millénaire où se mêlent inextricablement la violence et le sacré, les positions stratégiques et les lieux saints, la géopolitique des puissances et la puissance du fait religieux, la foi et le calcul. Souvenez-vous qu’il faut compter avec l’Iran, mais chez nous, l’islam (extrême ou modéré) est sunnite. Quel que soit le jugement que nous portons sur tel ou tel régime, notre intérêt n’est pas de pousser l’Iran au crime ni de voir s’effondrer les monarchies du Golfe. À cause du pétrole et du gaz bien sûr, mais aussi pour ne pas laisser les lieux saints de l’islam à la portée de n’importe quelle main. L’urgence, en vérité, c’est de garantir un système de sécurité collective dans cette région sous l’égide de la communauté internationale.

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